Ascension hivernale du mont Washington en quatuor

Par Maxime Durand

C’est l’histoire d’une ascension hivernale du mont Washington en quatuor, en empruntant la célèbre voie Central Gully.

Afin de profiter d’une journée complète, nous avons conduit le vendredi soir les quatre heures qui nous amèneraient jusqu’à la chaîne présidentielle, au New Hampshire. Nous avons dormi au pied de la montagne cette fois-ci, vu l’heure tardive. En comparaison avec nos expériences précédentes au départ le samedi, nous avions plutôt campé dans les refuges à Hermit Lake, plus haut dans la montagne.

Après le déjeuner et l’essentiel café, nous avons fait la randonnée facile qui mène jusqu’au pied du ravin Huntington, en suivant les indications similaires à celles menant au populaire sentier Lion Head. Jusque-là, on peut croiser raquetteurs, skieurs de haute route et grimpeurs en simultané. Arrivés au refuge Harvard, nous rencontrons le garde forestier, qui nous donne les conditions météorologiques pour la journée et les conditions d’avalanches. Nous étions légèrement nerveux à l’idée que notre projet dépende évidemment des bonnes conditions.

Le ravin Huntington est un terrain alpin pour amateurs avertis. S’il est le théâtre d’un décor incroyable, il est aussi lieu de malheureuses tragédies. Étant fait en un long corridor reliant la base du ravin jusqu’au plateau de Garden Trail, le Central Gully peut accumuler près d’un demi-mètre de neige. Pendant son ascension, il n’y a pratiquement aucune protection possible outre la préparation et la prévention*. Heureusement pour les grimpeurs, il est maintenant possible d’évaluer le risque a priori en vérifiant les conditions en ligne via le Mount Washington Avalanche Center.

Point de vue vertigineux du ravin Huntington en été. Photo : Jaine

À notre grand bonheur ce jour-là, il faisait un temps relativement doux pour un mois de janvier et aucune nouvelle neige d’importance n’était tombée depuis quelques jours. Le fond de neige était donc assez stable et le risque d’avalanche était faible.

Nous décidons d’emprunter la coulée centrale Central Gully, connue comme étant une belle voie alpine peu technique, en contraste avec la célèbre Pinnacle plus technique. C’est-à-dire que le Central Gully ne requiert normalement qu’un minimum d’équipement. Ainsi, nous avons chacun un piolet de marche et des crampons, tandis qu’une corde nous relie les quatre. Vu les risques modérés de chute, nous décidons de faire une ascension en simultané, avec protections. Le premier grimpeur place des ancrages dans la glace, la roche ou la neige (vis à glace, plaque de protection, ancrage à neige) sur lesquels passe la corde fixée à un mousqueton. Le dernier de la cordée ramasse le matériel au fur et à mesure. On dit qu’il « nettoie » la voie.

Alors que nous faisons l’ascension, la vue derrière nous est superbe! Nous sommes les premiers de la journée à grimper. Le ciel est légèrement ennuagé, mais il ne coupe aucunement la visibilité. Avec des pentes allant de 20 à 45 degrés, il est facile de se concentrer sur notre ascension. Mais lorsque nous prenons le temps de nous retourner et de regarder la vue qu’offre le mont Washington sur les alentours, le souffle nous manque.

Je mène la marche dans la neige qui est assez dense et nous gravissons assez rapidement tout le ravin. Alors qu’il ne nous reste qu’une quarantaine de mètres à grimper, nous décidons de prendre la variante Left Wall, dans le Central Gully. Comme nous avons aussi apporté du matériel technique additionnel (des coinceurs et un deuxième piolet chacun), nous décidons de nous lancer dans cette sortie de type mixte. L’angle de la paroi devient beaucoup plus prononcé et outre la glace et la neige, il nous faudra utiliser la roche pour grimper. Après avoir placé un ancrage pour rappel, je continue l’ascension en premier de cordée.

Si mon niveau de confort était assez élevé pendant les parties précédentes de la voie, je sens une plus grande poussée d’adrénaline dans cette section plus verticale. Ici, il faut grimper d’un pas sûr, car la chute n’est pas une option. Mon premier ancrage est un précaire piton Spectre, enfoncé dans un mélange de tourbe gelée. Puis, je sens le réconfort d’une solide vis à glace bien ancrée, suivie d’un coinceur mécanique dans la paroi rocheuse. Encore quelques mètres et j’arrive à la fin de la voie.

Ouf! Je m’arrête momentanément pour respirer et je m’aperçois que la vue est magnifique. Quel sentiment de fierté que de sortir de la paroi verticale et d’arriver sur un plateau bien plat! J’y prépare un solide ancrage dans l’épaisse neige compacte. J’aperçois un à un les dessus de casque de mes compagnons de cordée qui émergent de la paroi.

C’est le temps des célébrations et nous prenons enfin le temps de prendre une photo. Nous réalisons le bonheur de profiter des joies de l’hiver et d’être de retour en sécurité après avoir surmonté ces frousses que nous nous créons volontairement. Après avoir rapidement cheminé jusqu’au sommet du mont Washington, nous redescendons par le sentier Lion Head jusqu’à la base de la montagne.

*Bien que le mont Washington dispose de plusieurs gardes forestiers, il est recommandé de suivre une formation en sécurité en avalanche et d’utiliser des équipements de sécurité tels que les sondes, DVA, les pelles, et même les incroyables sacs à dos pour avalanche de Black Diamond.

 

Bibliographie:

An Ice Climber’s Guide to Northern New England, par S. Peter Lewis and Rick Wilcox.

Ice & Mixed Climbing; Modern Technique, par Will Gadd

Mountaineering; The Freedom of the Hills

Avalanche Essentials; A Step-By-Step System for Safety and Survival, par Bruce Temper

 

À considérer dans la même lignée pour grimper la voie alpine Trap Dike dans les Adirondacks, ou le mont Gothics par sa face nord:

Blue Lines 2, An Adirondack Ice Climber’s Guide, by Don Mellor.

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Ancien employé de La Cordée, Maxime a appris à faire du ski de fond avant de se mettre à marcher (du moins, c’est ce que sa mère prétend). Tout jeune, c’est l’escalade qui lui a ouvert les portes du plein air. De tempérament curieux, il a pratiquement essayé tous les sports de plein air. Bien qu’il se définisse comme un sportif hyper actif, il finit souvent par se retrouver derrière une pile de livres pour gagner sa vie d’historien. Et quand il n’a pas le nez dans un bouquin ou qu’il n’est pas en train de jouer dehors ou de jardiner, fourche à la main, Maxime sème la terreur dans les soirées de jeux de table avec ses amis.

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