Avalanche : Apprendre de ses erreurs

Par Evans Parent

Comme beaucoup de skieurs, j’ai un jour été attiré par le ski hors-piste. Or, comme l’expérience ne s’achète pas, je n’ai pas eu d’autre choix que de passer le plus de temps possible en ski afin de me forger ma propre expérience. Ça fait maintenant plus de dix ans que je skie en mode hors-piste, un peu partout sur la planète, sans guide ni mentor. D’ailleurs, les deux dernières années n’ont pas été sans conséquence moi. Elles ont un peu façonné mon apprentissage…

Tout d’abord, je dois dire que je suis le premier à publiciser l’importance de la sensibilisation sur les risques d’avalanche. Une fois que les connaissances de base sont comprises, il suffit de passer à la pratique. Moi, contrairement à d’autres skieurs, je n’ai pas eu la chance d’avoir un mentor pour faciliter mon apprentissage pratique. Ce qui n’est pas mauvais puisque skier sans mentor m’a forcé à me poser beaucoup de questions. Comme il n’y avait personne pour me dire si la pente était stable, par où je devais monter et quels étaient les dangers principaux à éviter, j’y suis allé à tâtons et prudemment.

Surtout que déclencher une avalanche n’est certainement pas aussi glorieux que ce que nous montrent les films de ski. Vous savez, les films dans lesquels les pros déclenchent des avalanches à la grandeur de la montagne et s’en tirent en descendant en ligne droite jusqu’au bas de la pente (où ils sont accueillis par les high five des autres skieurs)?

Je dois avouer qu’au fil du temps, en forgeant mon expérience, j’ai moi-même déclenché quelques avalanches. Certaines petites, bénignes, d’autres, plus importantes, qui auraient pu avoir des conséquences fatales. Jusqu’à maintenant, j’ai eu de la chance parce que je n’ai jamais eu à faire de sauvetage. En y repensant, je suis obligé d’admettre que toutes les fois qu’il m’est arrivé un incident du genre, c’est que plusieurs signes m’indiquaient qu’il y avait un risque élevé d’avalanche, mais que j’avais consciemment fait le choix de les ignorer puisque ma volonté de skier l’avait emportée sur ma prudence. J’ai assurément été une victime de mes propres biais cognitifs* tels que décrit dans certains ouvrages sur les risques d’avalanche et vulgarisé par Black Diamond dans sa série Human Factor 1 et Human factor 2.

En ce sens, voici un petit récit de l’une de mes mésaventures :

J’étais en voyage avec mon père au Kyrgyzstan pour y skier pour la première fois. Ce petit pays d’Asie centrale est constitué de près de 80 % de montagnes. Coincée entre le Kazakhstan et la Chine, cette région connaît un climat plutôt froid et sec, et ses précipitations ne sont pas particulièrement abondantes.

J’étais à Karakol, où se trouve le plus grand centre de ski du pays. Par plus grand centre de ski, je veux dire un centre de ski qui comporte deux remontées fonctionnelles! Ce centre est adossé à une importante chaîne de montagnes et offre un potentiel de ski hors-piste très important. Si bien qu’on y trouve une chenillette qui remonte plus haut sur l’arête de la montagne. Le service est offert à qui-veut-bien-payer afin de pouvoir y faire des virages non encadrés.

À notre arrivée au centre de ski de Karakol, je constate que le manteau neigeux n’est pas très profond et que la neige n’est pas particulièrement stable. Il nous est impossible d’isoler une colonne de neige puisqu’elle s’effondre sur elle-même à cause de l’instabilité des différentes couches de neige. C’est probablement le manteau neigeux le plus instable que je n’ai jamais vu. Mon père et moi convenons donc qu’il faut rester vigilants.

Après quelques jours à skier en station dans des conditions de neige molle, nous nous disons que nous pourrions bien aller faire un tour en ski hors-piste. Après tout, nous sommes dans ce petit pays pour les deux prochaines semaines… nous ne voulons pas rester là à skier sur les huit mêmes pistes pendant tout ce temps!

Nous passons donc une journée à skier pas trop loin du centre, à travers les traces laissées par d’autres skieurs. Les conditions sont franchement mieux qu’en centre. Bien que le manteau neigeux ne soit pas vraiment différent de ce que nous avons observé en station, nous ne décelons aucun signe d’instabilité supplémentaire.

Nous revenons donc le lendemain, mais cette fois, nous optons pour faire du hors-piste. Nous choisissons une arête qui descend vers l’arrière-pays. Nous nous disons que l’arête nous offrira une petite protection advenant le cas où une avalanche se déclencherait. Par contre, après six ou sept virages, je m’arrête. Je n’aime assurément pas l’endroit où je suis. Plus loin, l’arête s’élargit et devient une pente. Je décide de rebrousser chemin. Je sors mes peaux puis je remonte dans mes traces. Nous décidons de ne pas explorer cette option et retournons plutôt skier sur une pente adjacente à la station, tout près d’où nous avons skié la veille.

Là, les premiers virages sont mieux que les précédents. La neige est plus solide et l’angle de la pente n’est pas trop prononcé. Mais, il y a des traces autres que les nôtres. Comme je n’aime pas tellement croiser d’autres traces (ou d’autres skieurs), je regarde un peu plus loin pour dénicher une autre option.

Je décide alors d’aller voir une autre pente, juste un peu plus loin, en traversant une petite dépression, dans son tiers inférieur. J’entends alors mon père me crier quelque chose. Je regarde par-dessus mon épaule sans ralentir et je vois de beaux gros blocs de neige se casser et descendre avec une vitesse assez surprenante. J’essaie alors de remonter le plus possible de l’autre côté de mon petit corridor. Alors que je remonte, la pente en face de moi se brise et se met à bouger. Je suis alors aux premières loges d’une belle grosse avalanche.

Ce qui devait se passer finalement arriva et la pente, située en haut de moi, finit par se briser et se mettre en mouvement. Dans les premiers instants, j’ai beau essayer de ne pas me faire emporter, il n’y a pas grand-chose à quoi m’agripper pour me retenir. Je place donc mes skis vers le bas de la pente et je croise les doigts!

Photo : Yan Kaczynski, Juste.Être.Dehors

Je descends avec les blocs de neige en réussissant à ne pas tomber. Une fois rendu dans le bas de la pente, je finis par m’arrêter, mais la neige, elle, n’a pas tout à fait fini de descendre… Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre, mais j’ai trop peur pour regarder ce qui pourrait m’atteindre, plus haut. La neige qui s’accumule autour de moi s’arrête un peu plus haut que la moitié de mes cuisses.

Je crie à mon père que je suis correct. Je lui dis de ne pas bouger puisqu’il y a encore pas mal de neige instable dans le haut de la montagne. Je sors alors ma pelle pour me dégager et pour libérer mes skis qui sont bien ensevelis sous la neige. Le manteau neigeux est déjà rendu trop compact pour que je puisse m’en sortir facilement.

Le lendemain, nous décidons d’aller magasiner au marché public de Karakol. Puis, le surlendemain, nous quittons la région pour aller visiter une autre région du pays, qui devait avoir des conditions de neige différentes de celles que nous venions juste de vivre…

En rétrospective, j’ai été pas mal chanceux! Les premiers blocs de neige qui sont descendus se sont empilés dans la zone de dépôt, sur plus de 5 m d’épaisseur. Aussi bien dire que si j’étais descendu avec eux, vous n’auriez pas eu la chance de lire ce billet de blogue!

Voici quelques-unes des erreurs que je constate avoir faites :

  • J’ai amoindri le risque élevé d’avalanche;
  • Je me suis mis de la pression pour faire du bon ski, malgré les conditions dangereuses;
  • J’ai traversé un piège naturel (terrain trap), ce qui n’était assurément pas une idée très brillante.

Sans vouloir être moralisateur, j’aurais envie de vous dire de profiter de la poudreuse, mais de faire attention aux décisions que vous prenez lorsque vous vous trouvez sur des terrains risqués.

 

* Un biais cognitif est un mécanisme de la pensée, cause de déviation du jugement. (Source : Wikipédia)

 

Photo en-tête : Yan Kaczynski, Juste. Etre. Dehors

 

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Originaire de La Tuque, Evans chausse des skis pour la première fois à l’âge de deux ans. Puis, en 2005, fraîchement gradué, il décide d’aller goûter, avec deux de ses amis, à la fameuse poudreuse de la Colombie-Britannique à bord de sa vieille Subaru. Il tombe sous le charme de ce mode de vie et part à la chasse à la poudreuse dans toute l’Amérique du Nord, avant de faire du monde, son terrain de jeu blanc.

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