En Chine l’hiver, le long des gorges du Saut du tigre

Par Maxime Durand

Lorsque trois amis un peu (beaucoup) aventuriers décident de passer un mois en Chine, toutes les occasions de plein air peuvent être au menu. Voici le récit d’une semaine de randonnée et d’alpinisme en Chine entre Lijiang et Shangri-La, dans la province du Yunnan.

Après quelques parties de cartes entre Simon et moi, nos vols nous amenaient à Shanghaï où nous rejoignions Michaël qui y vivait depuis plusieurs mois en immersion culturelle, avant de poursuivre nos vols vers Chengdu, puis Lijiang qui sera le point de départ de notre aventure. Cette ville abrite un magnifique village plusieurs fois centenaire dont les habitations de bois sont très richement ornées. On peut y déguster les spécialités épicées de la cuisine séchouanaise ou y manger un hot pot, qui est essentiellement une fondue chinoise dans laquelle on fait cuire viandes, légumes et nouilles. Le riz blanc en accompagnement permet de réduire justement l’intensité des plats trop épicés.

Le lendemain de notre arrivée, notre besoin de bouger nous amène à louer des bicyclettes pour découvrir les environs. On y découvre de petits villages pour déguster le thé du Yunnan, ou encore le lac translucide et aux couleurs d’azur où beaucoup de futurs mariés se font prendre en photo. Petit détail à ajouter; Lijiang est nichée entre les montagnes du sud-ouest de la Chine dont le plus proche sommet est le mont enneigé du Dragon de Jade. De nombreux touristes chinois se font hisser sur les hauteurs de ses glaciers par un câble mécanique. C’est plutôt aux pieds de celui-ci que nous débuterons notre randonnée des sept prochains jours qui devra, selon les conditions, nous permettre d’atteindre le sommet du Haba Xue Shan (5396 m).

Question de profiter au maximum de l’expédition, nous nous adjoignons les services d’un guide-traducteur, Jonathon, de l’agence BackRoads of China. Celui-ci nous rejoint à Qiaotou, notre point de départ où nous longerons la rivière Jinsha pendant deux jours, question de finir la préparation de notre corps à la montagne. Rapidement, notre enthousiasme convainc Jonathon de courir avec nous les sentiers de ces deux premiers jours. Même si nous sommes en hiver, les agrumes pendent encore aux arbres cultivés en terrasse, car l’hiver est encore doux à cette altitude d’environ 2000 m. À la fin de la première journée, alors que nous arrivons à l’auberge du Teahorse Trade et que l’extase de la course s’apaise, nous réalisons tout d’un coup la vue qui s’offre à nous, qui nous éblouit. Devant nos yeux trône le Dragon de Jade, immense. De toute sa splendeur, il défend depuis ses hauteurs la plus haute gorge du monde; celle du Saut du tigre.

À la fin de la deuxième journée de course, une camionnette nous fera gravir les passes de montagne environnante pour nous amener au village Haba Cen. L’hiver triomphe à cette altitude alors que notre transport tente péniblement de nous maintenir en vie le long des multiples courbes de la route. Heureusement, nous finissons par convaincre le chauffeur d’installer les chaînes sur les pneus et nous atteignons enfin le village d’où débutera l’ascension.

Haosi, le guide local du mont Haba, nous reçoit dans sa demeure pour souper. Le thé n’y manque jamais et les parties de mah-jong s’enchaînent, alors que nos hôtes tentent sans cesse de nous convaincre de jouer en misant (paraît-il qu’autrement les joueurs ne s’impliquent pas autant…). Après souper, nous sortons rejoindre l’école locale, fermée en hiver faute de transport adéquat, où nous dormirons avant d’entamer la première journée d’ascension.

Les quinze kilomètres de cette montée nous amènent sans difficulté technique jusqu’au camp de base, à 4100 m d’altitude. Nous devons nous relayer pour ouvrir le chemin tandis que nos jambes s’enfoncent jusqu’aux hanches dans la neige (équipés du nécessaire d’alpinisme, nous n’avons malheureusement pas pensé à trimbaler nos raquettes en Asie). Notre trajet passe d’abord les pâturages de yak, puis nous zigzaguons dans les forêts d’azalées jusqu’à ce que ceux-ci disparaissent et ne laissent que les parois rocheuses inclinées. Nous avons la chance d’avoir Haosi et son aide qui mènent derrière nos pas les chevaux et notre matériel le plus encombrant. Nos sacs de couchage en duvet sont parfaits pour nous maintenir au chaud la nuit en cette première nuit étoilée. Qui a déjà séjourné en montagne sait cependant que la température peut changer rapidement. Le lendemain, un premier blizzard nous force à passer la journée à l’intérieur de l’abri du camp. Nous en profitons jovialement pour jouer aux cartes et pour amasser nos forces pour la tentative d’atteindre le sommet le surlendemain.

Huosi, le guide local, a fait plus d’un millier de fois l’ascension de la montagne depuis sa jeunesse. Il affirme pouvoir atteindre le sommet les yeux clos. Ce fait gonfle notre confiance alors que nous nous réveillons le matin de la tentative d’ascension. L’appel du lit reste très fort en cette heure hâtive, car nous tentons d’être prêts à partir dès 4 h. Surprise, cependant, la grande quantité de neige accumulée a défoncé pendant la nuit le toit du camp de base et il nous faut d’abord vider de neige la cuisine. Cette tâche accomplit, le riz frit nous fournira le carburant de la journée, en compagnie de quelques os et tendons, une délicatesse chinoise qu’il nous est difficile d’apprécier. Nous débutons notre journée avec un peu de retard, mais nous connaissons notre forme physique et demeurons assurés que celle-ci nous fera rattraper le temps perdu. Le camp baigne sous la lumière des étoiles, peut-être un bon augure, mais la montagne est complètement enveloppée d’un lourd voile blanc.

Haba Xue Shan n’est pas une montagne technique, à proprement parler. Enfin, c’est surtout vrai en été, où l’on peut faire l’ascension assez facilement avant d’atteindre le glacier et les crevasses. L’hiver présente un tout autre univers à la chose, qui fait beaucoup penser aux conditions parfois extrêmes du mont Washington. Nous progressons sur de très longues dalles rocheuses. Aucune glace ne s’est formée où nous pourrions planter nos piolets et crampons. La poudrerie de neige n’est qu’un facteur de glisse et nous ne trouvons aucun pied assuré alors que nous grimpons, mais notre moral tient bon.

Alors que nous grimpons, les conditions météo se détériorent graduellement, avec des bourrasques qui nous forcent souvent à nous accroupir et à utiliser nos quatre membres pour éviter de perdre pied. Coûte que coûte, nous foulons enfin le glacier et traversons les crevasses. Moins de deux cents mètres d’altitude nous séparent maintenant du sommet, mais la tempête qui nous balaye depuis le début de cette journée semble ne vouloir rien céder. Nous avons progressé si lentement que même les vêtements alpins de duvet n’arrivent plus à protéger notre chaleur corporelle de l’avidité du froid. Affaibli par le voyagement, le teint de Simon est verdâtre. Nos lèvres sont mordues de froid et nos sourcils sont devenus des champs de glace. Nos sources d’eau sont gelées et nos mâchoires ne mastiquent plus nos rations congelées. Si prêts du but, les conditions nous forcent communément à tourner les talons et à reprendre le chemin de la raison.

De retour au camp de base, la fatigue s’abat sur nous tandis que nous nous affairons à réchauffer nos corps rapidement. Les conditions météo se détériorent encore et nous savons qu’aucune autre tentative d’ascension ne sera possible avant plusieurs jours. Nous redescendons en ce quatrième jour d’alpinisme au village d’Haba, le cœur lourd. Heureusement, avec le retour de repas plus consistants et quelques parties de mah-jong, nos basses mines cèdent à la joie : nous sommes tous sains et saufs, grandis par cette expérience et la chance unique d’avoir pu tenter de gravir Haba Xue Shan.

Depuis Haba, une camionnette nous amène vers notre prochaine destination; la ville mythique de Shangri-La, berceau de la culture Naxi, Hui et Yi. La visite de magnifiques temples bouddhistes, le yogourt de yak et la beauté des lieux nous feront vivre de nouvelles aventures, mais c’est une histoire pour une prochaine fois. Qui sait, peut-être pourrons-nous y ajouter quelques photos du sommet de Haba Xue Shan cette fois?

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Ancien employé de La Cordée, Maxime a appris à faire du ski de fond avant de se mettre à marcher (du moins, c’est ce que sa mère prétend). Tout jeune, c’est l’escalade qui lui a ouvert les portes du plein air. De tempérament curieux, il a pratiquement essayé tous les sports de plein air. Bien qu’il se définisse comme un sportif hyper actif, il finit souvent par se retrouver derrière une pile de livres pour gagner sa vie d’historien. Et quand il n’a pas le nez dans un bouquin ou qu’il n’est pas en train de jouer dehors ou de jardiner, fourche à la main, Maxime sème la terreur dans les soirées de jeux de table avec ses amis.

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