Partir pour 700 km de course à pied, c’est un projet ambitieux. Parcourir cette distance en Arctique, au mois de février où les températures peuvent facilement chuter à -50 °C, c’est un projet de fous, mais c’est aussi l’un des parcours proposés par le Yukon Arctic Ultra (YAU). Croyez-le ou non, l’ultra-marathon de 700 km attire une trentaine de participants dont seulement un Québécois, Réjean Moreau. La Cordée, fière de le soutenir dans son défi, l’a rencontré quelques jours avant son départ pour l’Arctique. Voici le portrait d’un homme qui n’a pas froid aux yeux, fort heureusement.
L’homme derrière l’exploit
Assis au soleil dans la salle de séjour munie d’un plancher chauffant, sa pièce préférée de la maison, Réjean Moreau peut sembler douillet. Détrompez-vous. Cet homme de 61 ans, père de cinq enfants et deux fois grand-père est également un coureur aguerri. Ses jambes comptent à leur actif une quarantaine de marathons, tout autant de semi-marathons et plusieurs autres courses au kilométrage variant entre 10 à 20 km.
« Après un certain temps, on se tanne de manger du bitume », explique-t-il et c’est ce qui l’a poussé à essayer la course en forêt. « Quand j’ai goûté à ça, ça a été l’amour fou! » Il a donc ajouté une dizaine de courses entre 100 et 160 km à son podomètre. Lorsqu’il a entendu parler du Yukon Arctic Ultra, cette course à pied de l’extrême qui suit le même trajet que l’une des plus célèbres et difficiles courses de chien de traîneau, soit le Yukon Quest Trail, Réjean Moreau n’avait plus qu’une idée, relever le défi.
Jamais trois sans quatre
La course qu’il s’apprête à faire est reconnue comme étant l’une des plus belles et des plus redoutables courses d’aventure en hiver au monde. « Pour faire un défi comme ça, il faut vraiment être fêlé », plaisante l’ultra-marathonien qui en est à sa quatrième expérience au Yukon Arctic Ultra.
Les participants ont le choix de parcourir 160, 480 ou 700 km à pied, en ski ou en vélo. Lors de son premier défi en 2011, Réjean Moreau a choisi de faire le trajet de 160 km avec des skis de fond aux pieds. L’année suivante, peu satisfait de la mauvaise glisse de ses skis, il est retourné avec une valeur sûre, ses pieds, et s’est lancé dans le 480 km. Il a terminé en troisième position.
En 2013, le Québécois s’est aventuré dans le parcours le plus exigeant du YAU, soit le 700 km. Pour vous donner une idée, c’est environ la distance de Montréal à la Gaspésie, et le tout se fait en autonomie totale dans une toundra gelée. Malheureusement pour l’athlète, un problème de santé l’a empêché de compléter sa course, et ce, après 625 km de traversées : seulement 75 km le séparaient de la ligne d’arrivée. « C’est pour ça que je le refais cette année, je me reprends », lance-t-il souriant. C’est aussi parce que malgré le froid mordant, il a eu la piqûre des courses d’aventure. Cette année, il espère non seulement terminer la course, mais aussi franchir la ligne d’arrivée parmi les trois premiers.
Harmonica, bivouac et vaseline
Un brin de folie, une forte de dose de passion, et surtout une capacité physique hors pair et un moral à toute épreuve sont ces principaux alliés. Toutefois, l’équipement qu’il doit traîner avec lui pour les 13 jours de la course joue également un rôle considérable. Traîneau, sac de couchage, bivouac, bottes, vêtements thermiques, vaseline…
La liste est longue, mais minimaliste. Rien n’est ajouté au traîneau qui ne soit essentiel à la survie du participant. Ah, non attendez. Qu’est-ce que ce petit instrument de musique fait là? « C’est mon harmonica, le seul objet que j’emporte avec moi et qui ne possède qu’un rôle ludique », explique Réjean Moreau. Toutefois, quand une mélodie vient se loger entre ses deux oreilles et qu’il doit l’endurer sur des kilomètres de solitude, son harmonica vient l’aider à se débarrasser de ce qu’il appelle « ses vers d’oreilles qui grugent le cerveau ». Ainsi, quand les conditions le permettent, il souffle quelques notes aux paysages du Yukon. Une fois, à l’un des points de contrôle de la course, un autre participant racontait comment il avait été ému d’entendre de la musique au loin. Finalement, son harmonica n’est peut-être pas si inutile que ça : en fait, « c’est véritablement utile, puisque c’est joli », comme disait le petit prince de Saint-Exupéry.
Repousser ses limites
Après une telle course, Réjean Moreau, peut facilement perdre 25 livres. « En une journée, je dépense près de 8000 calories, même avec la plus grande des volontés, c’est impossible de combler cette perte. » Bien entendu, il revient amaigri physiquement, mais riche de son expérience et de la magnificence de l’aventure.
« J’ai toujours adoré la théorie des trous noirs et de la masse infinie dans un volume égal à zéro d’Albert Einstein », explique le marathonien. Quand il est seul dans son bivouac, à contempler les étoiles, il y repense avec cette impression d’incarner cette théorie. « Je me retrouve face à l’énormité de ma vulnérabilité. Mais d’être capable de la maîtriser avec des instruments aussi simples que de la vaseline (qui lui sert d’onguent miraculeux pour le protéger contre les engelures, atténuer la friction, etc.). C’est ça qui me fascine. » Une touche de philosophie guide ses pas et le pousse à retourner vers le Yukon Arctic Ultra, malgré le froid, la solitude et les nombreuses épreuves qui l’y attendent.
Pour faire face à ces moments de crainte, de fatigue extrême, de bottes qui se retrouvent submergées alors qu’il fait -35 °C, il puise sa force en pensant à sa famille, au trajet déjà parcouru et aussi à la cause qu’il appuie en participant à cette course, soit La Source bleue de Boucherville. Cette maison de soins palliatifs, dont il est le trésorier, représente pour l’athlète un besoin essentiel dans la société. « Les personnes en fin de vie, méritent de terminer leurs jours dans la dignité et dans le meilleur environnement possible », explique-t-il. Si vous désirez en savoir plus, ou témoigner votre solidarité, cliquez ici.
Que la course commence!
En pensant à la beauté des aurores boréales, le froid arctique qui glace les os, les mirages qui parfois se glissent dans la réalité, les lacs glacés à traverser en pleine nuit et toutes les autres aventures et mésaventures qu’il a vécues et s’apprête à revivre, Réjean Moreau est à la fois serein et excité. Pour la course, il sera dans sa bulle de participant, à l’autre bout du pays, mais vous pourrez le suivre sur le web grâce au système de localisation du Yukon Arctic Ultra. Un retour sur le défi de 700 km qu’il s’apprête à entamer sera aussi à surveiller prochainement dans le blogue de La Cordée. Pour l’instant, nous souhaitons bonne chance et beaucoup de plaisir à cet ultra-marathonien ultra courageux!