« Welcome home, Bon retour à la maison! » nous souhaitait la gentille douanière canadienne à notre arrivée en Colombie-Britannique qui nous questionnait davantage sur notre voyage plutôt que sur le contenu de nos sacoches. Nous arrivions alors de Seattle après plus de 400 km sur la côte ouest de l’État de Washington, le cœur gros et plein de bons souvenirs de nos voisins du sud. Maintenant, direction est! Ici, des cyclotouristes il y en a. À peine avions-nous donné nos premiers coups de pédales en Colombie-Britannique que nous avions déjà croisé une dizaine de routards à deux roues faisant eux aussi la traversée du Canada. Nous n’étions plus les seuls. Traverser le Canada à vélo, c’est devenu un classique et les options d’itinéraires sont limitées. Résultat : nous recroisons souvent les mêmes personnes. Cependant, en vélo, chacun y va à son rythme et tous le font pour des raisons qui leur sont propres. Sans surprise, la manne de cyclotouristes se dilue plus nous pénétrons à l’intérieur du pays.
Nous pouvons enfin profiter d’un vent favorable. Nous avons des ailes! Quelle belle sensation que de mouliner avec l’impression de forcer à peine et de regarder son odomètre indiquant pas moins de 27 km/h! 172 kilomètres aujourd’hui! Facile, on avance les deux doigts dans le nez! Malheureusement, nous ne sommes pas les seuls à voler ces temps-ci. En effet, les pluies diluviennes, qui ont frappées la Saskatchewan et le Manitoba au début du mois de juillet, ont créé des étendues d’eau qui sont alors devenues de vrais nichoirs à moustiques de toutes catégories. À l’exception des Everglades en Floride et du parc Yosemite en Californie, nous avions presque oublié l’existence des « bebites ». Le maringouin n’est pas que roi et maître ici, il est le tout puissant! Nos réveils matinaux se transforment en un jeu consistant à compter les milliards de maringouins dans l’entretoit de la tente; un jeu très complexe lorsqu’on sait que les moustiques ne sont ni statiques ni semblables les uns aux autres! Le pire c’est qu’après le jeu, le perdant doit sortir de la tente et aller préparer le café. Un peu cruel direz-vous? Un après-midi, alors que nous arrivions au camping municipal, nous nous sommes retrouvés en plein centre du rassemblement annuel des maringouins de l’Amérique du Nord où nous étions de toute évidence le buffet d’honneur. Ils nous ont presque aidés à déplier la tente et planter nos piquets! Mais il n’y a pas que ces mini seringues volantes qui nous rendent la vie difficile. Connaissez-vous les Tabanidés? On les appelle aussi mouche à cheval ou à orignal, mais mes oncles les surnomment les « frappe-à-bord ». Ces Cessna vivants mordent le dos des cyclistes! Lors d’une journée à travers les marais du Manitoba nous avons été la cible d’une attaque massive de « frappe-à-bord ». Le problème avec cet hybride entre l’oiseau-mouche et le requin est que plus vous suez et plus ils vous aiment. Et plus ils vous aiment, plus vous voulez les semer. Plus vous pédalez, plus vous suez et plus ils appellent d’autres soldats en renfort! Plus ils sont nombreux et moins vous avez envie d’arrêter et plus vous pédalez. C’est alors la panique qui s’installe. C’est bien sûr à ce moment-là que nous nous rendons compte que nous sommes en plein milieu de la forêt, qu’il n’y a aucun abri. Et bien évidemment, même si ces bestioles font le millionième de notre taille, en gang, ils nous font perdre la tête!
Un regard vers l’arrière pour voir si nous les avions semés nous fait aussi constater que, pour la première fois depuis les États-Unis, nos ombres sont maintenant derrière nous. Lorsque nous nous dirigions vers l’ouest, le matin, nos ombres étaient devant nous et elles nous escortaient vers l’autre côté, comme des chevaux tirant une carriole. Nous étions à la conquête de l’ouest. Nous nous voyions pédaler, être dans l’action pour ce voyage fantastique. Maintenant que nous nous dirigeons vers l’est, il faut se retourner pour voir nos ombres et un sentiment étrange nous habite. Serions-nous en train de regarder ce qui est passé plutôt que de regarder en avant vers l’inconnu? Maintenant, nous escortons nos ombres et nous avons deux fois plus de bagages à transporter. Les voyages ont toujours un début et une fin et cette fin arrive de plus en plus vite. Surtout avec un vent de dos! C’est avec des sacoches bien remplies d’expériences que nous continuons de pédaler vers la maison, très excités de ce que l’avenir nous réserve et nostalgiques du passé. Qui sait, ce sont peut-être ces ombres finalement qui nous poussent? Nous sommes présentement devant le lac Supérieur, il est midi, nous fermons les yeux et nous respirons un bon bol d’air, nous savourons chaque seconde qui s’écoule. Vive le moment présent!