Par Michèle Leclerc
Photos de Guillaume Dury
« Maman, je pense que je suis perdu… Je ne sais pas où je suis et mon cellulaire a presque plus de piles. »
Mon cœur fait trois bonds. Je dormais, mais à ses mots, mon réveil se fait instantanément. Assise dans mon lit, j’écoute attentivement mon fils aîné qui m’appelle du Panama. Il est perdu quelque part au sud de l’Amérique centrale, dans une forêt tropicale humide, à plusieurs heures de la capitale. Il veut se rendre dans une station de recherche scientifique pour y effectuer des observations sur un groupe d’insectes. L’autobus public l’a déposé au milieu de nulle part. D’où il est, il ne voit aucune trace de vie humaine.
« Bon, ça va? Tu as de l’eau et de la nourriture?
— Oui. »
À des milliers de kilomètres, je dois gérer une situation d’urgence. Je dois réfléchir vite.
« J’ai mon GPS. »
Guillaume avait investi dans un système de géolocalisation qui fonctionne partout dans le monde. Un achat qu’il jugeait bon pour un entomologiste comme lui, chassant les insectes un peu partout.
« Excellent, donne-moi ta position que je te situe sur la carte. Puis, j’appelle ton professeur à l’Institut Smithsonian. Je vais trouver son numéro, ne t’inquiète pas.
— OK, avec ma liseuse, j’ai une connexion Internet 3G. Je t’envoie ma position dans quelques secondes.
— Tu me rappelles dans 15 minutes.
— Oui, en attendant, je vais me trouver un endroit sécuritaire pour dormir!
— Mets-toi à l’abri des animaux. Il y a des bêtes dangereuses au Panama! Entre autres des chats sauvages! »
Je raccroche le téléphone et me lève du lit. Je vais immédiatement à l’ordinateur et trouve la liste des numéros d’urgence que mon fils m’a laissée avant de partir. En un instant, je compose celui de son professeur. À l’autre bout du monde, à la première sonnerie, il me répond. Je me présente et lui résume la situation.
« Mme Leclerc, avec sa position GPS, je peux contacter le centre d’urgence de l’université. Ils enverront l’hélicoptère de secours pour le rescaper. Nous pourrons aller le chercher et il sera rentré d’ici quelques heures, pensez-vous qu’il en ait besoin? »
Pendant ce temps, j’imagine Guillaume qui doit sortir de son sac à dos sa lampe frontale qu’il a reçue de son frère cadet. En regardant le ciel étoilé, il préfèrera plutôt économiser ses piles au cas où… C’est un soir de pleine lune et éclairé avec la lanterne des pauvres, il marche à tâtons dans la brousse. Il cherche un abri pour la nuit. Pendant un moment, il pense en construire un, comme il a appris chez les scouts, quelques années auparavant.
« Dr Windsor, nous n’aurons pas besoin de réquisitionner l’équipe de secours. Je fais confiance à mon fils, et je crois qu’il préfèrerait qu’on lui dise simplement où se situe la station de recherche La Fortuna par rapport à sa position actuelle. Il veut aussi avertir les scientifiques qu’il sera en retard et qu’il n’arrivera que demain. Il me rappellera dans cinq minutes. »
Je termine la conversation et attends impatiemment son retour d’appel. Pendant ce temps, j’imagine Guillaume, seul dans la jungle sauvage, dans la noirceur la plus totale. Mais sa réalité était
tout autre. Il voit ce qui lui semble être un étroit sentier. Il suit le sentier sur une dizaine de mètres, et là, comme sorti de nulle part, il découvre un chantier de construction au bord de la route. Il discerne quelques bâtiments dans la pénombre. Il marche vers l’un de ceux-ci et en fait le tour. À pas de loup, il entre par effraction par une porte laissée débarrée. Dans un petit racoin, à l’étage, il découvre une pièce munie d’un lit de camp couvert d’une épaisse couverture de poussières. Avec un balai qu’il trouve parmi les outils de construction, il nettoie le tout et ferme le loquet de sa porte. Puis, il s’installe pour la nuit.
Le téléphone sonne enfin. Le Dr Windsor m’apprend que la station de recherche se situe à quelques kilomètres d’où se trouve Guillaume.
« Il devra retourner sur la route principale et marcher en direction inverse. Après deux kilomètres, il croisera une habitation. De là, les scientifiques iront le chercher. »
Je raccroche rapidement le combiné. J’envoie aussitôt cette information à Guillaume qui devrait pouvoir le lire sur sa liseuse, même dans une zone où le Wi-Fi n’est pas disponible. Guillaume me retéléphone d’emblée et me résume sa situation. Je dors sur mes deux oreilles. Mon fils est débrouillard. J’ai entièrement confiance en lui. Au réveil, il grignote des fruits secs et des noix qu’il a dans son sac. À la clarté, il prend le chemin, d’où un autobus le ramasse et le dépose à l’habitation. Une heure plus tard, il est dans la station de recherche, en compagnie d’autres scientifiques, prêt pour ses chasses d’insectes auxquelles il rêvait étant petit. Dans ce coin de paradis pour les passionnés de la nature, il y trouve une nouvelle espèce d’insecte (une chrysomèle) qu’il aura l’honneur de nommer dans un avenir rapproché!
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