L’arrivée
Ma famille et moi débarquons en Islande. Nous y pédalerons tout l’été. Caméra à l’épaule, nous partons à l’aventure. J’y réaliserai un film pour les Grands Explorateurs. Dix personnes qui voyagent ensemble, c’est plus simple que ça n’y paraît. Nous voyageons séparément, c’est plus économique. Cinq d’entre nous arrivent les premiers, les autres nous rejoignent dans 5 jours. Papa Pierre et Louis-Philippe (le 3e) arriveront à la fin juillet et l’aîné viendra nous rejoindre en août. Après un premier vol de deux heures de Montréal à Halifax, nous montons à bord de l’avion d’Icelandair pour quatre heures. Il nous mènera à l’aéroport de Kevlavik, à une cinquantaine de kilomètres au sud de la capitale Reykjavik (le « j » se prononce « i »). En arrivant, nos cinq vélos nous attendent dans leurs boîtes respectives sur un chariot. Nous remettons les guidons et les pédales en place, nous soufflons les pneus et finissons l’installation de nos sacoches sous la supervision de Jean-Cristoph qui sera notre mécano pour ce voyage.
Nous voilà prêts pour découvrir l’Islande. Nous prenons la route sur nos montures. Encore un peu hésitants avec nos bagages, nous réajustons la disposition de leur poids et nous remettons un élastique par-ci, un autre par-là. Nous nous rendons au village de Kevlavik sous de gros nuages menaçants. La température est pluvieuse. Puis, cinq minutes plus tard, le soleil se pointe. Une loi nationale permet de camper n’importe où dans le pays. La seule limite : être trois personnes par tente au maximum. Nous nous trouvons un coin légèrement en retrait et installons notre campement jusqu’à l’arrivée du reste de la famille. Aussitôt, un Islandais arrive et nous souhaite la bienvenue. Il nous offre trois cartes détaillées du pays. À peine sommes-nous réfugiés dans nos minces maisons de toile qu’il se met à pleuvoir. À cette période de l’année, il ne fait jamais nuit ici. J’enfile mon foulard Buff sur mes yeux, et je tombe dans les bras de Morphée. Après tout, nous avons voyagé pendant plus de 20 heures (en comptant l’escale à Halifax). Lors des éclaircies, nous nous hasardons à découvrir le voisinage. Une fois la famille réunie, nous partons! Notre objectif : pédaler au cercle polaire, au 66e parallèle, dans le nord de l’Islande. Alors en route!
Le papier de toilette double épaisseur
Après nous être réfugiés dans une école à Borganes, dans l’ouest de l’Islande, pour laisser passer une tempête, nous reprenons la route. Nous roulons vers le nord, et longeons la rivière Nordura, communément appelée « la plus belle rivière » en Islande. Le paysage est parsemé de pierres volcaniques recouvertes de mousse verte. Nous longeons des montagnes aux sommets enneigés. La température s’annonce belle pour les prochains jours. Mais, ici, la météo peut changer en 5 minutes, nous dit-on! Nous avons un peu plus de 100 kilomètres à parcourir pour atteindre le village suivant : Hvammstangi, près de la mer de Norvège, dans le nord du pays. Un vent polaire souffle et nous l’avons de face. Notre première nuit est prévue au complexe universitaire de Bifrost à 32 kilomètres d’où nous sommes. Nous plantons notre tente près des appartements des professeurs et des chercheurs, presque dans la cour du complexe hôtelier de Bifrost. Nous y rencontrons un groupe de Québécois qui voyage en Islande. Au matin, avant leur départ, deux dames m’offrent un café chaud. Délicieux! Cela fait plaisir. Je rentre à l’hôtel pour demander aux cuisiniers de nous faire cuire des œufs. Le maître d’hôtel, un Viking barbu aux longs cheveux, s’approche de moi : « Êtes-vous la famille de cyclistes canadiens qui parcourt le pays? » J’acquiesce. Tout souriant, il nous invite tous à venir manger à son restaurant, à ses frais. Je cours réveiller mes neuf jeunes qui dorment encore… « Pour déjeuner, on vous offre le repas au restaurant ». Les enfants sont rayonnants de joie. Il nous offre un buffet à volonté, à condition de ne pas gaspiller la nourriture. Nous terminons ces plats : soupe islandaise, lasagne, pain, salade… Délicieux, surtout après les repas déshydratés que nous cuisinons à tous les jours. Puis, nous remontons sur nos bolides bien chargés. Le ciel grisonne. Il pleut une bonne partie de la journée. Toute la nuit, la toile de notre tente Marmot bat au vent, les gouttes d’eau la martèlent. Entre deux ondées, nous plions le campement et nous enfourchons nos bicyclettes. Un chemin sinueux s’allonge devant nous. Nous pédalons sur la Nationale 1, la seule route qui traverse le pays. Au fil des heures, le vent forcit, Éole se fâche, des bourrasques atteignent, par pointe, 70 km/h. La brume descend. Nous avançons dans une purée de pois. Les uns marchent et poussent leurs vélos. La pluie tombe depuis une bonne heure. Après à peine 15kilomètres, j’aperçois une maisonnette qui me semble abandonnée. Je sais qu’en Islande, il existe des abris de sécurité où les voyageurs en détresse peuvent s’arrêter et dormir. Il peut y avoir de deux à huit lits. Paraît-il qu’il y a parfois un paquet de spaghetti à disposition! J’envoie Jean-Cristoph et Charles en éclaireurs. Une barrière bloque l’entrée. Ils passent par-dessus. Quelques minutes plus tard, ils reviennent souriants. C’est un refuge, la porte est ouverte. Juste à côté se trouve une ancienne bergerie. Nous pourrons y mettre les vélos à l’abri. À l’intérieur de la cabane, c’est plus d’une quinzaine de lits qui sont à notre disposition. Il y a du café, du sucre et même l’eau courante. Et Charles rajoute : « Il y a même du papier de toilette double épaisseur ». Nous éclatons tous de rire! Heureux, nous nous installons. Les uns réhydratent et font chauffer le repas de nouilles, d’autres déroulent une corde à linge, et déposent leurs imperméables pour qu’ils sèchent. Chacun choisit son lit! Nous terminons la soirée avec un délicieux chocolat chaud pour les plus jeunes ou un café moka pour les plus vieux! Après une bonne nuit de sommeil réparateur, nous nous préparons à reprendre la route. Voilà qu’une voiture entre dans la cour. Les enfants me regardent : était-ce réellement un abri pour les voyageurs en détresse? Je sors. Une dame m’apprend qu’elle a loué l’endroit pour la fin de semaine. Notre présence ne semble pas la déranger. Après tout, la porte n’était pas barrée. Nous discutons du trajet à suivre et des prochaines fermes abandonnées que nous rencontrerons. Les vents devraient se calmer en fin de journée, nous dit-elle avant de partir, pour nous encourager. Nous reprenons la route et nous ne saurons jamais si nous avions l’autorisation de nous installer dans ce refuge. Nous avons, par contre, passé une excellente nuit.
En vélo au cercle polaire
La température en Islande est acceptable ou exécrable. Depuis quelques jours, nous avons du mauvais temps. Il devient difficile de pédaler beaucoup. Des vents de 70 km/h de face nous ralentissent. Des rafales à 100 km/h nous empêchent de monter sur nos bolides. Courageusement, nous les poussons. Il pleut à boire debout! Il fait à peine trois ou quatre degrés Celsius. Nous sommes habillés avec toutes nos épaisseurs : maillot La Cordée, manchettes, chandail en laine mérinos, veste en polaire et anorak rouge. Ça va, nous n’avons pas froid! Nous nous réfugions sous un pont pour manger notre repas. Une voiture s’arrête et informe Raphaël qu’une équipe de sécurité vient nous chercher! Des gens ont téléphoné au 112, qui est l’équivalent du 911. Une heure plus tard, les secours arrivent avec deux camionnettes 4×4, une remorque pour nos vélos, et une remorque pour nos bagages! Nous montons à bord de leurs véhicules. Le chauffage est à fond! Nous parcourons 70 kilomètres jusqu’au prochain village. Les filles sont ravies; les garçons sont un peu déçus de ne pas avoir pédalé! Nous sommes accueillis par l’équipe d’urgence; chocolat chaud, café, biscuits nous attendent. Ils nous offrent leur local pour dormir. Nous y resterons finalement deux jours, le temps de faire la paix avec ce pays de tempête! Avec le soleil, nous reprenons la route vers le nord. Nous partons vers le 66e parallèle, sur l’île de Grimsey. Les 11 pédaleront finalement au cercle polaire! À Dalvik, nous montons à bord d’un traversier. Après trois heures de navigation, nous débarquons dans un minuscule port de pêche où une odeur de poisson flotte! Il fait chaud. La température doit atteindre 23 degrés. Nous roulons avec nos maillots La Cordée. C’est une des premières fois! Et comme d’habitude, nous ne passons pas inaperçus! Nous cherchons un endroit retiré pour le campement. Ici, le terrain de camping coûte 1500 couronnes par personne, soit 15.00 $. Il n’y a pas de rabais pour les familles. Alors pas question d’y dormir pour 150 $ la nuit. Au bout de l’île, nous entrons, en vélo, dans un sentier pédestre. Puis, nous bifurquons dans les terres, à l’abri des regards, nous montons les tentes. Contre toute attente, nous avons tous attrapé des coups de soleil au cercle polaire! Le lendemain, nous pédalons autour de l’île. Nous croisons des milliers de macareux, des sternes d’Arctique, des goélands. En revenant, nous nous attablons dans le seul restaurant de l’île et commandons du macareux. Ce n’est pas tous les jours qu’il nous est possible d’avoir cette viande au menu! Le jour suivant, nous repartons. Sur notre retour, la chambre à air du vélo de Danièle éclate, puis la mienne. Nous nous rendons donc au port à pied, en poussant notre monture. Nous sommes à temps malgré tout. Une cargaison de poisson est chargée, et puis, c’est notre tour. Nous réparons nos crevaisons à Dalvik. Nous sommes attendus par une famille danoise qui nous offre l’hospitalité. Ils nous ont même cuisiné du pain noir, au sarrasin. Habituellement, il est cuit directement dans les sources d’eau chaude, mais comme il n’y en a pas, ils déposent la pâte dans des cartons de lait. Ils sont enfournés à la plus basse température toute la nuit. Au matin, nous avons droit à du pain chaud, du fromage et du beurre. Succulent! Puis, nous remontons sur nos vélos, vers Gausir. Un festival viking s’y déroule. Un village de l’époque médiévale est reconstitué. Nous y croisons, en habit d’époque, un cordonnier, un forgeron, un cuisinier, un musicien, des pêcheurs, et plusieurs marins. Chacun connaît bien son rôle. Nous apprenons beaucoup sur nos premiers ancêtres. Ils sont arrivés au Canada il y a 1000 ans! Nous y passons finalement toute la journée. En soirée, nous pédalons jusqu’à Akureyri, la ville la plus ensoleillée du pays! Nous refaisons la paix avec la température. Elle devient acceptable.
Sur la côte est, entre fjord et mer.
L’Islande est un pays à cheval entre deux continents. Nous venons de quitter le lac Myvatn, au nord du pays; là où les plaques tectoniques fissurent la terre. L’île de l’Islande s’agrandit d’environ deux centimètres par année. Nous roulons vers l’est, nous passerons de l’Amérique à l’Europe. La richesse de cette région réside dans la variété des phénomènes géologiques que nous y croisons. Les sources d’eau chaudes, les bassins de boues bouillonnantes, les cratères, ou des rochers de laves durcies. Chacun de ces amoncellements est associé à un troll pétrifié dans une posture ou une autre. Nous sommes au pays des légendes. Le sous-sol est habité par une communauté de plusieurs centaines de trolls! Ce sont des êtres pacifiques. Malheureusement, leurs critères de beauté diffèrent tellement des nôtres que parfois, on leur attribue de fausses réputations : méchanceté, sorcellerie, etc. Les sorcières trolls connaissent même une potion pour faire pousser les verrues, et elle est très recherchée. Le nombre de verrues améliore leur beauté, paraît-il! Avec une température moyenne de dix degrés Celsius, le nez dans le vent, du sel sur le visage, les uns derrière les autres, nous pédalons maintenant entre fjords et mer. Onze vestes rouges, un casque bleu et des sacoches recouvertes d’une housse protectrice jaune déambulent sur la Nationale 1 qui fait le tour de l’Islande. Une seule route suit le contour des fjords. Des voitures, des 4×4 et des autobus s’arrêtent, nous photographient. Ils nous encouragent : une côte n’attend pas l’autre et elles peuvent atteindre 18 %! À part les véhicules sur l’autoroute, l’Islande semble inhabitée. La nature ici est intemporelle : aucune clôture, aucune frontière sauf celle des montagnes enneigées. Et aucun obstacle n’arrête le vent. Il souffle fort, du matin au soir. Lorsque nous l’avons de face, même les descentes semblent pénibles. Mais, si nous avons la chance de l’avoir de dos, les kilomètres s’additionnent et les sourires s’accrochent aux visages de mes 9 jeunes! Au soir, vers 6 ou 7 heures, parfois plus tôt, nous installons le campement et cuisinons notre souper. Nous voyageons avec quatre tentes : deux Marmot trois places, une Marmot deux places, et une North Face bleu cinq places que les garçons ont surnommée leur palace! Par grand vent, nous avons chacun développé une technique pour monter et démonter nos tentes sans perdre un morceau. Comme nous serions malheureux de voir un double toit s’envoler dans la mer de Norvège, ou dans l’océan Arctique. Nous n’avons d’autre choix que d’être méthodique et sécuritaire avec des vents de 50 à 70 km/h, atteignant parfois des pointes de 100 km/h! Nous installons, en tout premier lieu, un premier piquet avant de dérouler la tente. Dès que possible, les quatre piquets des coins sont plantés au sol, puis nous montons les murs! Et enfin le double-toit! Il n’est pas question de le détacher de la tente. Puis, le petit poêle multicombustible s’allume et les responsables du repas s’activent. Les autres vont chercher de l’eau à la rivière, ou au ruisseau. Partout en Islande, elle est potable. Pas besoin de la filtrer. Le ventre plein, chacun se retire dans ses appartements. Les uns jouent aux cartes, d’autres lisent ou rédigent leur journal. Vers 8 ou 9 heures, le campement est silencieux, seul le vent fait danser les murs de nos abris qui battront toute la nuit. Le cri d’une sterne d’Arctique nous rappelle que nous ne sommes pas encore au pays des rêves! Puis, chacun sombre dans un sommeil profond, malgré la clarté présente 24 heures sur 24. Le matin, après déjeuner, pour plier le campement, un rituel est établi. Le dernier piquet tient encore la tente jusqu’à ce qu’elle soit complètement roulée. À la toute fin, il est retiré. La tente est mise dans un sac de plastique, puis insérée dans l’enveloppe de nylon, et enfin, placée sur le porte-bagages arrière du vélo. Nous roulons entre 30 et 60 kilomètres par jour en fonction de la température, la direction du vent, des pluies et des côtes! Nous nous dirigeons vers le plus grand glacier du pays, dans le sud! Nous espérons y voir des icebergs, des phoques et des macareux!
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