Par Bertrand Lemeunier
« Plouf! Plouf! » Il est 22 h, le soleil est couché depuis peu. J’aimerais dormir, mais je ne peux pas. Depuis un mois, mes journées sont particulièrement épuisantes et intenses. Mais ce soir, mon défi est inhabituel. Mon fils Léo, deux ans, clame que, comme il fait encore jour, ce n’est pas l’heure de dormir. Plouf! « Ne fais pas noir, pas dodo », me lance-t-il après avoir envoyé, pour la 20e fois, un caillou dans la rivière. C’est donc au son de ces ploufs! que j’observe un ciel que je connais peu, celui de la Nouvelle-Zélande.
Il y a déjà un mois que nous sommes, Vanessa, Léo et moi, au pays des Kiwis*. Je me souviens de notre première journée à vélo. Notre hôte de Dunedin, trouvé sur le site Web de Warmshower, nous avait dit : « Le vent souffle du nord-est aujourd’hui. Si vous longez la côte de la péninsule d’Otago, ce sera difficile de rouler avec la circulation. Prenez donc la route highcliff, ce sera moins venteux et surtout plus tranquille. » Il avait raison sur un point… Jugez-en par vous-même avec cette courte vidéo.
À cause d’un brouillard épais, nous ne voyions rien du décor que nous supposions être magnifique. La péninsule d’Otago est un petit lopin de terre d’à peine 30 km de long par 9 km de large et a été sculptée par les volcans, il y a dix millions d’années. Composée de falaises escarpées, de plages et d’une multitude de petits monts aux pentes abruptes, elle est le royaume d’une faune fascinante. Elle abrite, entre autres, le manchot pygmée, une petite espèce à la fois drôle et bruyante, ainsi que son cousin, le manchot antipode (également appelé « manchot à œil jaune »), un oiseau menacé d’extinction. Sur la superbe plage d’Allans, j’ai la chance d’observer des lions de mer en pleine sieste et d’autres, qui jouent dans le sable. Je découvre qu’ils peuvent « courir » relativement vite. Plus loin, un petit groupe d’otaries à fourrure se prélasse sur les roches de la baie voisine, tandis que plus haut, avec ses trois mètres d’envergure, l’albatros est le maître du ciel. D’ailleurs, grâce aux vents forts et constants, cet oiseau marin est capable de parcourir entre 500 km et 1000 km en 24 h! Alors que nous, pendant cette journée initiatique venteuse, nous avons parcouru à peine 15 km en 4 h…
Plus je vieillis, plus je suis lent! En 2007, j’avais parcouru, en solitaire, 16 500 km en neuf mois pour traverser le Canada d’est en ouest. En 2013, ma compagne Vanessa et moi avions parcouru 9 000 km en un an, au Brésil. Et en Nouvelle-Zélande? Les paris sont ouverts : combien parcourrons-nous de kilomètres en cinq mois?
Il faut dire aussi que je suis de plus en plus chargé… Sans connaître ma charge officielle, je me doute que j’atteins les trois chiffres. Léo pèse 15 kg et son imposante remorque double est encore plus lourde. Sans compter l’eau, la nourriture prévue pour plusieurs jours et tout l’équipement de plein air nécessaire au cyclotouriste autonome. Et enfin, bien sûr, mes cinq caméras et appareils photo, mes trépieds, mes chargeurs, etc. Hum, je ne suis pas loin du 100 kg, selon mes genoux.
Même si nous sommes lents, nous faisons une bonne équipe. Quel bonheur de voyager en famille et de faire découvrir à notre fils les joies du camping et du plein air! Notre routine avec Léo est, certes, différente de celle que nous avions au Québec, mais tout se passe bien en général.
Le contraste est saisissant quand nous découvrons la région voisine d’Otago, nommée simplement Southland. En effet, après avoir admiré les plaines, les vallées sans arbres et les sommets chauves, nous redécouvrons la forêt, le chant des oiseaux et l’odeur des pins dans le plus grand parc national du pays, le parc Fiordland, qui fait d’ailleurs partie du patrimoine mondial de l’UNESCO. À vélo, la seule porte d’entrée se situe dans la sympathique petite ville de Te Anau située sur les rives du lac du même nom. Là encore, nous sommes hébergés par de sympathiques hôtes de Warmshower. Dès notre arrivée, après une journée de 70 km, Emmanuel et Anna nous disent : « Si vous le voulez, nous pouvons vous prêter notre voiture pour les prochains jours. » Vanessa et moi nous nous regardons et répondons en cœur : « On verra demain ». Mais dans notre tête, notre réponse est « non »! Pourtant, plus tard dans la nuit, alors que je prépare notre séjour dans le parc, je ne cesse de me répéter que nous ne serons jamais capables de faire le trajet. L’aller-retour représente 240 km avec 2900 m de dénivelé. C’est trop exigeant si nous voulons nous garder de l’énergie pour faire des randonnées dans le parc. La météo pour les trois prochains jours s’annonce trop belle pour ne pas en profiter, surtout dans cette région où il tombe 7 m d’eau par année!
Le lendemain après-midi, je prends le volant, à droite, pour rouler… à gauche! La voiture est pleine et Léo est bien installé dans le siège de bébé de son nouvel « m’ami » Fergus, lui aussi âgé de deux ans. Au loin, les montagnes enneigées me font rêver. Sans plus attendre, voici quelques images prises lors de notre roadtrip de trois jours dans le parc national de Fiordland.
Lors de notre dernière nuit dans ce parc, je dis à Léo, vers 22 h 30 : « Allez Léo! un dernier caillou dans la rivière et on va faire dodo ». Plouf! Nous revenons ensemble, main dans la main, sous le ciel étoilé. Nous rentrons dans la tente sans même réveiller Vanessa, qui dort comme une bûche. Peut-être rêve-t-elle à l’hiver québécois, à l’autre bout du monde? Elle qui aime tant le ski de fond, la raquette et la glissade à Saint-Fidèle! Surtout quand tout se termine par une chaleureuse soirée au coin du feu.
Le saviez-vous?
Près de la péninsule d’Otago habite également un drôle d’animal, un certain Andrew Nicholson. Vous le connaissez peut-être puisqu’il vient de terminer son tour du monde à vélo. Il a parcouru plus de 29 000 km sur deux roues, en 123 jours et 50 minutes. Le Guinness World Records est en voie de confirmer ce nouveau record mondial. Pour en savoir plus sur le périple de cet homme et sur la cause sociale qui le fait rouler, visitez le www.facebook.com/24hrs4CTCR/.
*NDLR : Surnom donné aux habitants de la Nouvelle-Zélande.
Bertrand Lemeunier
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