Le Chili, destination de feu pour la randonnée et l’alpinisme

Aujourd’hui, je vous conte une histoire d’échec et de succès. Aujourd’hui, je vous livre quelques mots pour parler d’un décor qui ne mérite que vos yeux pour vraiment l’apprécier. C’est le récit d’un voyage avec deux inséparables comparses, François et Simon, en randonnée en Patagonie et en alpinisme sur le mont Marmolejo.

Par Maxime Durand

Par le passé, je vous ai révélé que pour moi, la montagne c’est un peu la conquête de l’inutile. Je devrais nuancer. C’est vraiment une occasion de se faire des frayeurs parfois bien inutiles, oui, mais surtout, c’est une incroyable occasion de se sentir bien vivant et d’apprécier le moment présent. Pendant ce voyage d’un mois au Chili en janvier, nous nous sommes donné comme défi de monter un sommet des Andes. Pour faire concept, nous avons choisi la cime dont le nom est issu du premier historien chilien, le Marmolejo. Sachant que je suis historien de métier, ça devrait aller de soi, non? Je vous mène en bateau. Nous l’avons plutôt choisi, car son niveau de difficulté semblait à notre portée. Culminant à plus de 6000 mètres, son sommet devait, outre une traversée de glacier, ne pas être très technique du côté chilien, contrairement à son flanc technique côté argentin. Son ascension est l’affaire de plusieurs jours et c’est ce que nous voulions. C’était en quelque sorte une occasion de nous pratiquer avant d’accomplir le rêve de grimper un jour l’Aconcagua, à quelques pas de là.

Afin de préparer nos corps au défi qu’allait poser cette ascension, nous avons débuté notre séjour par une quantité faramineuse de transport… De Montréal à Santiago, puis vers Punta Arenas, Puerto Natales et finalement vers le très populaire trek autour de Torres del Paine, en Patagonie. Après deux jours assis à voir défiler un paysage montagneux à couper le souffle, nous étions impatients d’en démordre avec l’aventure. Finalement arrivés à Torres del Paine, notre objectif sera de compléter la boucle du « ’O »’, consistant à faire le tour du massif sur un circuit de 130 kilomètres. Les options plus courtes sont des randonnées d’un jour ou le « ’W »’ de quelques jours.

Si certains choisissent de dormir dans les refuges, nous avons opté pour l’autonomie et les joies du camping. Ce qui frappe le plus dans ce parc est que chaque jour et même chaque demi-journée nous amène à découvrir des paysages et des écosystèmes totalement différents. Des alpagas, des buses, des aigles, et j’en passe. La faune est très riche alors que nous progressons dans les herbes longues sous le couvert d’une météo très changeante. Que l’on soit sous les nuages de neige, de pluie verglaçante, de pluie ou sous un réconfortant soleil de plomb, la montagne a ses insaisissables caprices et il vaut mieux être prêt à toute éventualité. Après six longues journées de randonnée (parce qu’on aime bien le paysage, mais aussi le dépassement de soi), nos rétines sont déjà fortement imprégnées de magnificence et notre premier trek se termine. Nos jambes, elles, attendent déjà bien impatiemment la prochaine bonne nuit de repos, ce que nous trouverons à Puerto Natales. Nous y trouverons aussi un banquet digne de la culture de ranch locale ; de la viande et encore de la viande.

Attention à l’erreur de débutant toutefois : le fort prix d’entrée au parc ne couvre pas le prix de toutes les nuits de camping qui sont des concessions parfois privées où il faut obligatoirement coucher en payant en argent comptant. Il est impératif de planifier son séjour à Torres del Paine, ou encore de chercher d’autres magnifiques alternatives en Terre de Feu.

Une fois notre séjour en Patagonie complété, nous retournons à Santiago pour nous y reposer davantage pendant quelques jours et pour planifier la prochaine grosse étape du voyage : l’ascension du Marmolejo. Alors qu’il existe plusieurs magasins locaux de montagne et d’escalade, nous en visitons un qui nous confirme l’information sur le sommet que nous voulons atteindre. Nous pouvons également y acheter une carte topographique détaillée qui complète le parcours préenregistré sur notre montre GPS. Ayant sous-estimé notre appétit pendant la randonnée en Patagonie, nous prévoyons cette fois-ci des quantités titanesques de nourriture, de quoi tenir jusqu’à dix jours sur la montagne, tandis que nous espérons accomplir notre rêve en sept jours.

Enfin, nous prenons un autobus qui nous amènera de Santiago vers la base de la randonnée à Baños Morales. Les autres touristes qui s’y rendent bifurqueront alors vers le parc naturel El Morado. Pour nous, le début de la marche  nous fait passer par… une mine! En fait, l’ascension du Marmolejo est gratuite, mais il faut simplement obtenir l’autorisation de la concession minière pour traverser momentanément leur terre. Autour de nous, les montagnes qui nous entourent en altitude sont désertiques et bariolées de couleur comme des arcs-en-ciel, démontrant toute la richesse minérale de leurs sols. Ce flanc ouest des Andes où nous nous trouvons est plutôt chaud et sec, en contraste avec le flanc est qui est beaucoup plus enneigé. Nous progressons de peu de kilomètres chaque jour. Nous misons plutôt sur une acclimatation quotidienne en altitude qui respectera une moyenne de 500 m de dénivelé par jour. Enfin, le contenu de nos sacs pèse aussi lourdement sur nos jambes.

Notre équipement : tente d’expédition, crampons, piolet de marche, corde, baudrier, mousquetons, vis à glace, sangles, bottes de randonnée quatre saisons, bâtons de marche, brûleur, gamelle, sac de couchage -10°C, drap d’auberge, tapis de sol, lampe frontale, caméra, filtre à eau, sac d’eau, vêtements, nourriture. Pour le luxe : nous avons aussi un petit haut-parleur Goal Zero et le traditionnel jeu de cartes.

Si le premier jour nous faisait progresser sur plus de distance, le deuxième jour de l’ascension, nous remontons une rivière glaciale (littéralement, c’est l’eau de fonte du glacier). Ici, les petits cailloux font place à de plus grosses roches qui demandent davantage d’effort pour être surmontées. La vue dans le canyon que nous longeons est à couper le souffle et nous peinons à croire que nous réussirons à surmonter les murs qui nous entourent. Enfin, le camp que nous montons ce soir-là est notre dernière occasion d’avoir de l’eau fraîche. Plus haut, il faudra faire fondre glace et neige. Les sédiments glaciaires présents dans l’eau demandent aussi beaucoup de patience à filtrer ; tandis que les doigts qui tiennent la pompe gèlent facilement. Pendant la nuit, nous nous réveillerons pour admirer le spectacle des astres qui se livrent gratuitement à nous. En contrepartie, mieux vaut traîner un trépied si l’on veut pouvoir capturer cet instant sur pellicule.

Au troisième jour de l’ascension, notre plus gros défi physique nous attend. Nous devons grimper hors de la vallée pour atteindre le plateau (caldera) qui mènera éventuellement jusqu’au sommet. L’angle de la pente est si fort, mes quadriceps hurlent de douleur sans cesse pour que ce sadique manège s’arrête. Or, le groupe tient bon. Lentement, nous gravissons la pente. Enfin, quelques heures plus tard, épuisés, nous atteignons la très fine crête qui nous amènera en lieu plus sûr. La vue est époustouflante alors que nous pouvons enfin admirer toute la région, et nous pouvons enfin voir notre objectif au loin : le sommet du Marmolejo. Pas un nuage pour obstruer la vue. Un moment de pure joie. Enfin, ce site sera le dernier camp, alors nous choisissons stratégiquement notre emplacement. Les voyageurs précédents ont érigé des cercles de pierres pour protéger les tentes des forts vents trouvés à cette altitude. Nous croisons à ce camp de base un alpiniste suisse, Peter, qui revient de l’Aconcagua où une tempête l’a contraint à se creuser un trou dans la neige pour dormir à son retour du sommet. Son mental est sans faille alors qu’il nous devancera dès lors pour atteindre le sommet du Marmolejo.

Quatrième jour sur la montagne : jour de repos et d’acclimatation. C’est une journée à la météo digne de toute la semaine : magnifique et sans nuages. Nous en profitons pour réviser nos techniques de sortie de crevasse, car entre nous et le sommet se tient encore un glacier qu’il nous faudra franchir. À titre indicatif, je tiens à nuancer qu’il vaut mieux éviter d’avoir les piolets dans la tente, au cas où il arriverait qu’une des pointes de ceux-ci ne touchent et percent un tapis de sol… Enfin, à moins d’avoir pris la précaution d’amener un patch autocollant, il faudra peut-être réviser sa notion de confort pendant la nuit… Le reste de la journée, nous nous partageons la corvée d’eau qu’il faut obtenir depuis les glaces. Un voisin de tente utilise une technique assez perspicace : utiliser une petite rigole de métal pour faire fondre directement la neige glaciaire avec la chaleur du soleil. Le processus est long, mais beaucoup moins dispendieux que celui d’utiliser un brûleur, beaucoup moins efficace en haute altitude à cause de la pression plus faible de l’air. Le moral est bon, mais un membre de l’expédition révèle avoir un léger mal de tête. Est-il déshydraté? Incapable de s’acclimater? Est-ce la fatigue de la première randonnée? En haute altitude, il faut être particulièrement réceptif aux signaux de nos corps et apprendre à connaître des signes dangereux, comme le mal des montagnes. Nous ajustons notre plan d’hydratation. Comme il juge son mal de tête raisonnable (comparativement à des expériences passées), nous décidons de passer la nuit sur place en espérant que le tout soit passé le lendemain et que nous puissions attaquer le sommet.

Pendant la nuit, je me fais éveiller en sursaut ; « Maxime, il faut descendre, mon crâne va exploser »’. La décision de rester ou de redescendre est lourde de conséquences et nous pesons les pour et les contre rapidement. Nous voulons évidemment éviter que cela se transforme en embolie cérébrale ou pire, en décès, ce qui est un risque qui nous apparaît alors assez imminent, mais dont les soins seraient inaccessibles en pleine nuit aussi loin de tout. Nous soupesons aussi les risques d’une descente nocturne avec les forts vents qui soufflent. Le chemin de descente sur la crête jusqu’au canyon n’offre que très peu de protection et un faux pas serait potentiellement fatal. Nous convenons d’attendre jusqu’au lever du soleil. Le mal de crâne de mon compagnon ne s’est pas amélioré à notre second éveil. Sans hésiter, nous plions tente et bagages afin d’entamer la descente. Nous redescendons rapidement sans regarder en arrière avec la santé de notre compagnon en tête. Heureusement, alors que notre altitude diminue, la teinte verdâtre de la peau de celui-ci reprend du mieux et le mal de crâne s’atténue grandement, ce qui nous soulagera tous. Nous forçons alors le pas pour reprendre le chemin du village à temps pour le seul autobus quotidien. Nous rencontrons des vacanciers chiliens à la sortie du sentier qui s’affairent à des grillades. L’un d’eux a passé sa vie au Québec et reconnaît notre accent. Grâce à son entremise, un de ses compagnons accepte de faire le taxi pour nous transporter jusqu’au terminus d’autobus, nous sauvant un précieux temps et nous permettant d’attraper le bus de retour à Santiago.

Une fois la poussière retombée, nous réalisons notre chance inouïe de pouvoir faire ce genre de voyage et d’avoir le loisir de nous pousser dans les derniers retranchements de nos limites. Nous sortons grandis de cette expérience avec plusieurs leçons apprises pour l’avenir. Enfin, notre retour prématuré de la montagne nous aura permis une occasion additionnelle au Chili ; celle de descendre sur la côte à Valparaiso pour profiter de la mer, des vignobles et du surf à proximité. Un autre lieu magique dans un magnifique pays à découvrir.

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Ancien employé de La Cordée, Maxime a appris à faire du ski de fond avant de se mettre à marcher (du moins, c’est ce que sa mère prétend). Tout jeune, c’est l’escalade qui lui a ouvert les portes du plein air. De tempérament curieux, il a pratiquement essayé tous les sports de plein air. Bien qu’il se définisse comme un sportif hyper actif, il finit souvent par se retrouver derrière une pile de livres pour gagner sa vie d’historien. Et quand il n’a pas le nez dans un bouquin ou qu’il n’est pas en train de jouer dehors ou de jardiner, fourche à la main, Maxime sème la terreur dans les soirées de jeux de table avec ses amis.

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