Rêve éveillé : l’ascension du mont Baker

Une aventure belle et agréable : une semaine sans nuages, une amitié à toute épreuve et l’atteinte d’un sommet tant convoité. En fait, il importe de célébrer les victoires, surtout lorsqu’il s’agit d’alpinisme. Laissez-moi donc vous raconter la nôtre dans les monts Cascades, dans l’État de Washington.

Le succès de notre aventure ne pouvait être garanti, comme c’est toujours le cas avec les aventures de plein air. Notre histoire commence par quatre amis qui cherchent à faire une sortie de boys d’une semaine, à la fin septembre. La liste de nos coups communs est longue (Chine, Chili, Terre-Neuve et j’en passe). Notre projet de monter le mont Baker, dans le parc national des North Cascades, découle d’un appétit commun pour les montagnes, et d’une envie de prendre de l’expérience sur un glacier. Si nous aimons tous grimper le mont Washington et les autres montagnes du nord-est américain, l’absence de glacier dans notre coin de pays limite notre acquisition de compétences dans ce domaine. Pour bien vivre notre aventure, nous avons choisi de laisser de côté notre excellent sens de l’improvisation, et nous avons plutôt réservé un forfait avec guides à l’agence d’alpinisme Alpine Ascents.

Avant notre départ pour Seattle, deux nouvelles attirent notre attention : les prévisions météo, qui annoncent une semaine radieuse puis une récente tempête, qui a laissé une importante accumulation de neige. Toute cette neige pourrait bien compliquer notre ascension parce qu’elle couvre peut-être les crevasses estivales laissées béantes.

Situé sur la côte nord-ouest américaine, à quelques kilomètres de la frontière avec la Colombie-Britannique, le mont Baker, et ses 3285 m, culmine en solitaire sur la région des Cascades, avec au loin, de plus petits sommets à perte de vue. Il suffit de peu d’éclaircies pour voir, plus au sud, le mont Rainier, lui aussi bien seul, avec un dénivelé encore plus impressionnant (4392 m). C’est d’ailleurs le premier paysage qui nous accueille à l’aéroport Sea-Tac de Seattle.

L’ascension

Avant même d’avoir mis les pieds sur la montagne, la navette de l’agence nous rapproche de notre but, à 1000 m. À partir du parc Butte Trailhead, nous nous lançons dans un trek d’une demi-journée, qui nous mène à notre camp de base. La pente est assez abrupte, et elle nous fait passer d’une forêt de grands conifères à des pentes dénuées de végétation. C’est un passage intermédiaire entre la forêt et le glacier. Ce dernier perd du terrain avec sa fonte et libère un sol où aucun humain n’a encore vu d’arbre pousser. Lourd et en mouvement perpétuel, le glacier gratte la roche sous son passage, lisse les parois et creuse les vallées.

Notre camp de base est à quelques dizaines de mètres du glacier, sur un flanc non glacé. C’est un espace quasi lunaire, protégé du vent froid qui descend de la montagne. La neige s’y installe en grande quantité. L’été, il peut y avoir quelques mares d’eau (où nous nous baignons pour profiter de la belle journée). Il vaut mieux cependant ne pas s’y abreuver, car ces endroits servent aussi de campement lorsque le sol est complètement sec… On puise plutôt notre eau à une source plus en amont.

Comme nous sommes à la toute fin de la saison (fin septembre), le camp est pratiquement vide. Puisqu’il n’y a pas d’installations permanentes sur place, on y pratique le Sans Trace : rien ne se perd, rien ne se crée. Il faut se trouver un petit coin tranquille pour utiliser (et réutiliser) son sac de détritus humains qui contient de la poudre agglomérante. Surtout, attention à bien le cacher sous la tente entre les utilisations, car si les oiseaux le voient, ils le perceront et disperseront son contenu. Et ça ne sentira pas exactement la rose…

Arrivés au camp de base, nous profitons des jours sur la montagne pour nous entraîner et pour acquérir des techniques d’ascension (l’atteinte du sommet et le retour au camp de base se font dans la même journée). Ainsi, nous profitons allégrement de la température clémente pour passer du bon temps entre amis et pour faire quelques parties de dés (que Simon gagne toutes, ou presque). Nous peaufinons aussi les techniques d’avancée encordée sur le glacier et les techniques d’arrêt de chute. Ensuite, nous passons en revue les principes de hissage, qui permettent de tirer un poids par corde en diminuant les facteurs de poids. Par exemple, en utilisant un système de 3 pour 1, avec cordes, vis à glace et mousquetons, le poids de la victime est divisé par trois. Utile, s’il advenait qu’il faille sortir quelqu’un d’une crevasse. D’ailleurs, le troisième jour, nous pratiquons à tour de rôle la chute, l’arrêt de chute, l’ancrage et la sortie de crevasse sur le glacier, avec un poids humain simulé.

Le glacier

Enfin, le quatrième jour est le jour de notre ascension. Vu notre forme physique et notre expérience en montagne, nos guides nous font la grâce de nous réveiller vers 4 h ou 5 h du matin, plutôt qu’à minuit. Après un bon petit déjeuner, nous grimpons jusqu’à la zone la plus haute avant d’enfiler nos crampons, de mettre nos casques, de nous encorder et d’embarquer finalement sur le glacier. Un autre jour de ciel sans nuages commence. Écran solaire, pâte de zinc, vêtements couvrants et même casquette sous le casque sont autant de protections nécessaires.

Devant nous, la vue est majestueuse et elle impose le respect. Le glacier se déforme en glissant sur la montagne. Avec le soleil qui plombe et qui fait fondre le glacier, les crevasses sont ouvertes et béantes. Ainsi, le risque de chuter dans une crevasse cachée par la neige est réduit. En contrepartie, il faut parfois faire de grands détours pour trouver un chemin de traverse. Nos guides nous expliquent l’importance de prendre plusieurs courtes pauses dans la journée lorsque nous ne sommes pas dans une zone à risque. C’est un apprentissage de plus pour notre bagage de plein air, car notre groupe carbure souvent aux prouesses d’endurance extrêmes. Cette aventure nous apprend plutôt à gérer notre hydratation, notre fatigue musculaire, notre alimentation et à ne jamais oublier notre protection solaire.

Le ciel est magnifique, tout comme la montagne que nous découvrons sous nos pas. Alors que nous nous approchons de la section du mur romain, la portion la plus à pic de notre parcours, une odeur de soufre nous parvient. Nos guides nous apprennent alors que le cratère volcanique est tout près, caché par le Sherman Peak. Mais il est plus bas que le sommet du mont Baker. Nous sommes rassurés de savoir que la dernière éruption date du XIXe siècle. Il nous faut tout de même oblitérer l’information selon laquelle les scientifiques s’attendent à une éruption prochaine… Enfin, nul ne sait quand.

Le reste de la marche se fait tout en douceur. Les conditions météorologiques nous permettent de nous attarder un peu au sommet et de prendre la pose. Nous sommes heureux et comblés d’avoir atteint notre objectif, entre amis.

La descente

Il ne reste que la descente qui, même si elle semble facile, représente en fait souvent le moment le plus dangereux pour les alpinistes (sauf pour l’escalade de glace). Souvent, les grimpeurs sont fatigués, et la chaleur du soleil change les conditions de la route, rendant la glace ou la neige moins fermes. On peut y perdre pied plus facilement. D’ailleurs, la fonte de certains passages nous force à emprunter d’autres chemins, afin d’éviter certaines sections devenues trop tendres sous nos bottes. Selon nos guides, parmi les malchanceux qui défoncent les ponts de glace, rares sont ceux qui tombent assez profondément dans la crevasse pour nécessiter une intervention extérieure. Mais, quand ça arrive, c’est très peu plaisant. Il existe évidemment un risque réel de mort accidentelle dans ce genre d’expédition. Notre guide Dom nous en parle avec stoïcisme, lui qui doit composer au quotidien avec le traumatisme d’une expérience du genre.

Enfin, nous redescendons au camp de base pour terminer notre compétition de dés. Nous prenons le reste de la journée pour admirer l’horizon, et le soleil qui se couche sur l’océan Pacifique, à l’ouest. Le dernier jour, lors de la descente, nous décidons de quitter la montagne plus tôt que prévu pour aller cueillir quelques litres de bleuets sauvages qui poussent à perte de vue à l’orée de la forêt de conifères. Vraiment, ce voyage restera gravé dans nos mémoires.

Pour consulter nos données d’ascension via Strava : https://www.strava.com/activities/1888152915.

Le mont Baker, sur le site Summit Post : https://www.summitpost.org/easton-glacier/155616.

 

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Ancien employé de La Cordée, Maxime a appris à faire du ski de fond avant de se mettre à marcher (du moins, c’est ce que sa mère prétend). Tout jeune, c’est l’escalade qui lui a ouvert les portes du plein air. De tempérament curieux, il a pratiquement essayé tous les sports de plein air. Bien qu’il se définisse comme un sportif hyper actif, il finit souvent par se retrouver derrière une pile de livres pour gagner sa vie d’historien. Et quand il n’a pas le nez dans un bouquin ou qu’il n’est pas en train de jouer dehors ou de jardiner, fourche à la main, Maxime sème la terreur dans les soirées de jeux de table avec ses amis.

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