Par Camille Archambault
C’était le début de l’été et il faisait beau. Mon copain Marc-Antoine et moi, on regardait les sentiers qu’on avait envie d’explorer dans le Nord-Est des États-Unis. Lui, il revenait toujours avec une idée qui lui trottait dans la tête : faire la traversée des Adirondacks (le Great Range Traverse). C’était faisable en peu de jours, mais assez exigeant (36,3 km et 2940 m de dénivelé). Comme on n’était pas partis très souvent faire ce genre d’activité ensemble, il était difficile d’anticiper nos capacités et nos difficultés sur le chemin.
Malgré tout, on s’est lancés. La question qui se posait alors était: est-ce qu’on est capables de faire la traversée en une seule journée, avec des sacs à dos ultralégers? Après plusieurs jours de délibération et de discussion avec des collègues, qui s’étaient déjà lancés dans cette aventure, on s’est dit qu’il serait plus prudent de se donner deux jours pour y arriver, et ce, malgré le fait qu’il fallait traîner tente, réchaud, sacs de couchage, etc.
Le jour J arrive. Au Québec, il a énormément plu la veille (ÉNORMÉMENT). Et dans le Nord-Est des États-Unis, il pleut encore. On décide donc de partir un peu plus tard pour arriver à notre point de départ vers midi plutôt que vers 7 h ou 8 h. À destination, le ciel s’est éclairci, mais le bilan des précipitations est de 20 à 30 mm de pluie en 24 h. Bon quoi, un peu de boue ne nous arrêtera pas! On commence tranquillement par monter le chemin de la vallée, en se disant qu’on marchera seulement quelques heures pour se rendre au pied du mont Marcy, à Point Balk.
Une heure après avoir commencé à marcher, avec de la boue au-delà des chevilles, on rencontre notre premier « ruisseau ». Normalement, les cours d’eau se traversent sans problème si on marche sur les roches qui sortent de l’eau. Sauf qu’(aujourd’hui, )avec la pluie qui est tombée, on a de l’eau jusqu’aux genoux. On n’a pas le choix : tranquillement, à cause du courant, on remplit nos bottes d’eau à même le ruisseau. Après la traversée, on se laisse sécher pendant les heures qui suivent… jusqu’au prochain ruisseau, où il y a encore plus d’eau. Mouillés jusqu’aux cuisses, on continue à marcher jusqu’à notre site de camping. Si je pouvais tordre mes bottes de randonnée pour enlever l’eau, eh bien, je le ferais!
Autour d’un feu, qui nous a pris plus de temps que prévu à allumer, on arrive à se réchauffer. On se couche tôt pour être au meilleur de notre forme le lendemain. On a beauuuuccccoup plus de kilomètres à parcourir.
Le lendemain matin, à 7 h, on est debout. On déjeune rapidement avec des barres énergétiques et on enfile nos bottes. Oups! Même si, pour les faire sécher, on a enlevé nos semelles et on les a placées à l’envers, au bout de nos bâtons de marche plantés dans le sol, la rosée a fait des siennes. Nos bottes sont tout aussi mouillées que la veille. Sans parler de nos pieds. Je suis sûre qu’ils sont encore aussi ratatinés qu’hier. Mais bon, il faut ce qu’il faut! On met nos sacs de 60 l sur notre dos et on repart…avec un soleil en prime !
La montée de Marcy me surprend un peu. Je me rends compte que les Adirondacks sont plus à pic que les autres montagnes que je connais. Vers 8 h 30, on est au sommet. La journée s’annonce bien, même si on est un peu en retard sur notre horaire. Mais ce n’est pas grave parce que Marc ne cesse de me dire : « Tu vas voir, quand on va arriver sur la crête, ça monte et descend beaucoup moins. Ça va être plus facile! » « O. K. dans ce cas. On repart! » que je lui réponds.
Deuxième étape : le mont Basin. Le sentier descend beaucoup et remonte. « Bon, la crête s’en vient de toute façon, non? » me dis-je.
Troisième étape : le mont Saddleback. Je commence à le trouver moins drôle, ce mont-là! Oui, je fais de l’escalade, mais généralement, j’en fais avec une corde et je n’ai pas un sac de 60 l (rempli) sur le dos! Puis, peu de temps après, on redescend (encore !!!) tout ce qu’on vient de monter.
Plus tard, on travaille notre cardio avec la quatrième étape: le mont Gothics. Sa longue slab est encore humide à cause de la pluie d’hier et d’avant-hier. L’eau n’a pas fini de ruisseler vers le bas de la montagne. Une chance qu’il y a un câble… à certains endroits. On dîne avec des barres énergétiques plutôt que de sortir le réchaud : pas le temps, on est pas mal en retard si on veut arriver dans notre horaire. Surtout si on veut arriver avant qu’il ne fasse nuit. S’enchaînent alors les autres sommets : Armstrong, Upper et Lower Wolfjaw. « Marc, elle est où ta crête, donc? » Mais pas de crête en vue! On descend tout le temps jusqu’en bas pour tout remonter à l’autre sommet!
Jusqu’à ce que, vers 17 h, on n’ait plus d’eau. Problème. Puis, comme il n’y en aura pas sur notre chemin avant de nombreux kilomètres, notre filtre à eau ne sera pas d’une grande utilité. Et la journée est loin d’être finie! On marche de plus en plus lentement. Je suis exténuée. Marc aussi (même s’il ne me le dit pas). Rendus au mont Hedgehog, on décide de couper la boucle en redescendant au plus vite vers la vallée pour trouver de l’eau. Ce n’est pas moins long, mais au moins, on n’a plus à remonter.
Une heure et demie plus tard, on trouve enfin de l’eau!!! Le temps de la filtrer et de prendre une collation, on ajoute une demi-heure au temps perdu. Il se fait tard, la nuit va tomber et nos pieds, trempés depuis hier, doivent être en train de se décomposer dans nos bottes.
On arrive devant… un ruisseau! Évidemment. Rendus là où on en est, on le traverse, sans se soucier de la quantité d’eau qui s’accumule entre nos orteils.
Vers 20 h, on est rendus au Johns Brook Lodge. La nuit tombe. La dernière chose que je nous souhaite, c’est de tomber nez à nez avec un ours. Alors, JE COMMENCE À PARLER FORT. TRÈS FORT. Tout ça, en courant (ou presque…). Je veux terminer cette journée qui n’en finit plus de finir. On marche sur du plat et le fait d’avoir de la boue jusqu’aux genoux ne me dérange plus le moins du monde.
À 22 h 20, après 18 heures de marche et de nombreux kilomètres derrière nous, on arrive à l’auto. Enfin!!! Mes genoux sont tellement enflés que je n’arrive pas à les plier pour m’asseoir. Après dix minutes d’essais dans différentes positions, je finis par prendre place sur mon siège. On prend quelques minutes de pause, histoire de revenir de nos émotions. Puis, on démarre en direction de Montréal, en luttant contre la fatigue, qui est très intense et qui assaille nos corps surmenés pendant tout le chemin du retour.