Chronique d’une passionnée de voyage
Par Michèle Leclerc, cinéaste,
journaliste , conférencière
et mère de neuf enfants
Les vacances en famille à l’étranger demandent de la préparation : les enfants, les passeports, les vaccins, les billets d’avion, les réservations… Et maintenant, imaginez : vous envoler vers la Mongolie pour un voyage de trois mois, à cheval. C’est tout un défi déjà avec un ou deux enfants, mais est-ce possible avec une famille de neuf enfants âgés de 7 à 23 ans?
Après une traversée du Canada en vélo en 2009, après avoir été coincés dans une oasis en Égypte pendant la révolution en 2011, d’autres horizons nous appelaient. Rien de tel que de partir à cheval pour un voyage dans le temps à la rencontre des fils du vent de la Mongolie! Ce pays situé en Asie centrale est enclavé au milieu des empires chinois et russe. Le territoire de Gengis Khan semble appartenir à un autre monde. Pendant huit mois, je travaille à la préparation du voyage : recherche de commanditaires, lectures et achat de matériel. Nous faisons l’acquisition de chargeurs solaires et de téléphone satellite pour transmettre les émissions radio et les articles de journaux. Nous essayons le matériel de camping de la Cordée.
Puis, nous nous envolons vers la Russie et atterrissons à Moscou. De là, nous achetons nos billets pour le Transmongolien : direction Ulan Batar, capitale de la Mongolie. En voyant les hardes de chevaux, nous constatons que nous nous rapprochons de notre rêve : parcourir une partie du pays à cheval. Rassembler nos bêtes reste tout un défi. Ici, les hardes de chevaux vivent paisiblement, en liberté. Chez nous, on les qualifierait de poneys. Youpi! Nous avons trouvé nos montures : une pour chaque membre de la famille. Des cris de joie retentissent! L’animal du petit Marc-Antoine, 7 ans, a été choisi, avec minutie. En Mongolie, le cheval est roi; c’est le moyen de transport depuis des siècles. Grâce à lui, Gengis Khan et ses troupes de cavaliers ont conquis près de la moitié du monde connu à l’époque. Nous vivrons un peu à la manière de ces hommes. Naturellement, et sans grand choc, nous troquons notre vie capitaliste pour celle du nomade, du cavalier. Nous sommes entre deux mondes, deux époques. Nous aurons accès à l’autre monde, celui de la modernité et de l’abondance, que par l’entremise du téléphone satellite. En autonomie complète, nous longeons le lac Khövsgöl, les 8 lacs du Nombril jusqu’à la frontière russe près de la Sibérie où habitent les Tsatanes, peuple éleveur de rennes. Les enfants sont fébriles. Au réveil, couchés dans nos tentes, nous entendons les chevaux hennir ou brouter et parfois, le bêlement d’un bébé de renne qui appelle sa mère. Habituellement, la journée commence avec du riz sucré. Mais aujourd’hui, des nomades nous invitent à partager leur repas. Nous buvons avec délice du thé salé au lait de yak. Notre guide nous offre un immense bol de viande de mouton. J’y reconnais une mâchoire, des rognons, du foie, de la peau. Rien n’est perdu. Marc-Antoine, 7 ans, mange avec appétit le sang coagulé cuit. Sa sœur Danièle, 13 ans, n’ose goûter quoi que ce soit. Il faut lui laisser le temps. Puis, nous marchons dans ce pays de sentiers, sans clôtures, dans les steppes, à la recherche de nos montures qui ont brouté toute la nuit. Certaines sont entravées, d’autres attachés à leur pieu, et d’autres libres comme le vent. Les retrouver peut prendre 15 minutes ou… deux heures. Enfin, nos compagnons sont sellés. Nos tapis sont en feutres du pays. Une fois les chevaux de bât chargés de notre matériel de camping et de notre nourriture, nous partons. En moyenne, vingt-cinq kilomètres nous attendent chaque jour. Petit Lutin, le jeune étalon de Marc-Antoine, est tenu en laisse. Sur l’heure du midi, nous mangeons un sac de nouilles chinoises. Le cheval de Raphaël, 16 ans, a été blessé lors d’un galop spontané. Sans perdre une minute, Danièle, 13 ans, le soigne. Pendant plusieurs jours, dans la montagne, nous ne rencontrons aucune âme qui vive, ni yourte, cette tente en feutre des nomades. Quelques écureuils courent entre les petits épineux. Des tamias de Sibérie, cousins asiatiques de nos tamias rayés, surprennent parfois nos montures qui font des écarts. Tout à coup, Charles, 12 ans, part au galop. Son cheval rue, et c’est la chute. Il a la joue égratignée. Plus de peur que de mal! Charles voulait enfiler sa veste polaire rouge, ce qui a effrayé son compagnon! En fin de journée, tout le monde se porte bien. Nous descendons de nos montures et les attachons à des arbres, ou des buissons. Tous s’activent : Louis-Philippe, 20 ans, installe les panneaux solaires pour capter les derniers rayons du soleil. Raphaël s’occupe du feu et ramasse du bois. Marie-Michèle et Marie-Pierre, 16 ans, complètent avec les bouses séchées de yak. Papa Pierre cuisine, d’autres vont chercher l’eau à la rivière. Le campement se monte. Les chevaux sont dessellés, et libérés. Puis, nous nous rassemblons pour partager le repas et raconter les moments forts de la journée. Les menus alternent entre riz salé, petits oignons sauvages, pâtes alimentaires, viande déshydratée et fromage. Jean-Cristoph, 22 ans, se charge du thé.
La peau basanée, les lèvres gercées par le vent et le soleil, les enfants imaginent l’époque des conquêtes et des explorateurs. La vie de coureur des bois les a enchantés. Au retour, les écoliers et étudiants retournent en classe, et les parents reprennent le travail. Je classe les photos et monte les images du film. Plusieurs conférences dans les terrains de camping et les bibliothèques sont à l’horaire cet été. Puis, commencera, à l’automne, la tournée dans les écoles avec les Grands Explorateurs. Je revis ces beaux souvenirs et rêve de repartir.
Pour plus de renseignements : www.les11.com
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