Notre part des déchets

Des rivières de plastique en Corée du Sud, des montagnes de bouteilles d’eau dans la pampa argentine et de longues bandelettes de papier de toilette jonchant ma route partout dans le monde. On prend tristement mal soin de notre belle planète.

Dans les trois dernières années, j’ai traversé 34 pays à vélo. De l’Europe aux confins de l’Asie, en passant par l’Amérique du Sud. Et à peine quelques-uns de ces pays n’étaient pas jonchés de déchets.

C’est d’une infinie tristesse de voir toutes ces bouteilles et ces canettes, tous ces sacs de plastique, et même ces électroménagers rouillés remplir les fossés, les plages et les forêts. Même dans les endroits où personne n’habite, il semble que notre genre humain s’acharne à défoncer les frontières de la stupidité pour mieux polluer.

Une plage chinoise remplie de morceaux de polystyrène.

Pollution légendaire

Il existe une vieille légende dans l’immense pampa argentine. L’histoire de la Difunta Correa[1]– la Correa défunte –, vient du nom du personnage mythique de Deolinda Correa, une femme qui serait morte de soif dans le désert argentin en voulant suivre son mari, recruté lors de la guerre civile au 19e siècle. Deux cents ans plus tard, sa légende est bien vivante et l’on trouve, un peu partout en bordure du Chili, de l’Uruguay et surtout de l’Argentine, de petits sanctuaires érigés en son honneur. À ces multiples endroits, parfois situés à quelques kilomètres les uns des autres, les gens s’arrêtent et laissent des bouteilles d’eau pleines pour éviter que d’autres meurent de soif dans ces conditions arides.

En soit, l’idée n’est pas farfelue, sauf quand on constate que beaucoup de ces sanctuaires forment de véritables petites montagnes constituées de milliers de bouteilles de plastique.

Je ne peux pas m’expliquer pourquoi on met tant d’effort pour aller porter un vieux four dans la nature pour s’en débarrasser.

Alors que je traverse le pays en vélo, la vue quotidienne de ces amoncellements inutiles m’enrage. Je suis devant l’un d’eux lorsqu’un homme s’arrête en automobile, puis se met littéralement à escalader la montagne d’eau pour y déposer une énième bouteille. Je lui demande pourquoi. Il me regarde sans répondre. Puis, lorsqu’il revient vers mon côté du chemin, je réitère ma question. Pourquoi? Il m’ignore à nouveau avant de rembarquer dans sa voiture. Je perds malheureusement patience et lui crie, dans sa langue, qu’il pollue notre planète pour aucune raison. Son épouse lève son majeur à travers sa fenêtre d’auto alors que lui accélère, me laissant seul au milieu de l’immensité désertique. Sa bouteille et les milliers d’autres restent là.

Une ancienne tradition de la pampa argentine consiste à accumuler des bouteilles d’eau en bordure de route pour prévenir la déshydratation des voyageurs. Alors que quelques-unes suffiraient, on en trouve parfois des milliers au même endroit…

Un problème mondial

Ma perte de patience envers la pollution n’est pas soudaine. Je la rumine au contraire depuis longtemps. La réalité derrière les photos léchées de paysages que je prends est souvent bien plus sale.

En Birmanie, de l’autre côté du globe, le mardi est la journée où une grande partie de la population brûle ses déchets. Le ciel se remplit d’une fumée toxique causée par d’innombrables feux de camp nourris de plastique, de caoutchouc, et de pétrole, utilisé pour faciliter la combustion.

La moitié de la population mondiale n’a pas accès à une collecte régulière des déchets[2]. Et selon la Banque mondiale, 90 % des déchets produits dans les pays les plus pauvres sont ainsi brûlés à aire ouverte ou déposés dans des dépotoirs non réglementés[3]. En plus de nuire sévèrement à l’environnement, ces pratiques sont dangereuses pour la santé et peuvent occasionner des accidents à petite comme à grande échelle.

Mais la gestion des déchets est dispendieuse pour les gouvernements locaux. Elle peut souvent gruger de 20 % à 50 % de leurs budgets. Alors que beaucoup de gens autour du monde vivent encore sans eau ou électricité, la collecte des ordures n’est généralement pas en tête des priorités. Le développement se fait d’autant plus lentement dans les régions où le système de taxation est inefficace ou gangrené par la corruption. Et nos solutions occidentales sont loin de pouvoir être implantées partout dans le monde. Nos gros camions à ordures, par exemple, sont construits pour rouler sur des chemins pavés et ne peuvent simplement pas être envoyés sur les routes de gravelle ou de montagnes des pays en développement.

Après la nuit, les rivières de la Corée du Sud se gorgent de plastique et d’autres déchets amenés par les ruisseaux.

Mais il ne s’agit clairement pas que d’un problème de pays pauvres. Ce sont nos pays développés, et en particulier les villes, qui produisent davantage de déchets. Les Pays-Bas, qui possèdent pourtant un excellent système de recyclage, jettent plus de 400 000 pains par jour[4]. Nous produisons déjà deux fois plus de déchets solides qu’il y a à peine 10 ans, et avec le développement mondial, il est estimé que cette quantité passera de 3,5 millions de tonnes par jour à plus de 6 millions de tonnes dès 2025… par jour[5]!

Pas juste ailleurs

Il y a encore aussi un grave problème d’éducation. Et pas juste dans les pays lointains.

Par exemple, on pourrait, de prime abord, penser que jeter ses restes de nourriture dans la nature n’a que des conséquences heureuses. Du compost naturel, quoi! Mais les pelures d’oranges et de bananes ne sont pas prisées par les animaux. Elles peuvent prendre de six mois à deux ans pour se décomposer[6]. Pour le papier de toilette, même biodégradable, il faut entre une à trois années. Puis, tout ce temps, le paysage est miné par de longues bandelettes blanches déplacées par le vent.

Et je ne parle même pas du temps de décomposition des canettes en aluminium (200 ans) et des sacs ou bouteilles en plastique (des millions d’années).

Une enfant joue avec des retailles dans un petit village du nord du Laos.

Une solution (en partie) individuelle

Que peut-on faire devant autant de mauvaises nouvelles ?

Que l’on soit à la maison ou en voyage, d’un pays riche ou non, nous avons tous une responsabilité. Et en attendant que les gouvernements de ce monde adoptent des lois pour mieux prévenir à la base la création et ensuite, la gestion des déchets, il est certainement possible de faire des efforts individuels.

J’ai souvent cette forte envie de me fâcher devant ces paysages de déchets et ces pollueurs en action. J’ai le goût de leur crier après et de leur lancer leurs déchets au visage. Je vous ai d’ailleurs raconté sans fierté l’une de ces fois.

Alors, j’ai plutôt adopté une autre méthode, plus efficace. Celle où les actions parlent davantage que les paroles, aussi fortes soient-elles.

Le Chili, pourtant assez développé, ne fait pas exception : j’ai fréquemment l’impression de rouler dans des dépotoirs à ciel ouvert.

Je ne changerai pas les dépotoirs du monde à moi seul. Mais à vélo, je traîne toujours un sac de déchets. Alors, aussi bien le remplir. À chaque occasion, je nettoie donc un peu les bords de rivières et de rues. Je fais la même chose sous chaque arbre près duquel je m’arrête. C’est déjà ça de gagné. Et ça donne un certain modèle à la population locale qui me voit faire. Je fais souvent tourner les têtes en ramassant les déchets dans un petit village ou devant d’autres touristes, mais ça ouvre davantage la conversation que ça fâche la population.

J’ai récemment vu en ligne que beaucoup d’autres gens agissaient de même sous le hashtag trashtag. L’idée est de prendre une photo d’un endroit naturel à nettoyer avant et après[7].

Plus spécifiquement, en camping, il est suggéré de laver sa vaisselle loin d’un cours d’eau pour ne pas que le savon, même biodégradable, s’y retrouve. À la maison, on peut mieux nettoyer notre recyclage afin d’éviter de contaminer tous les autres contenants recyclables[8].

Les bords de chemin au Laos sont constamment recouverts d’innombrables déchets.

Au fil du paysage qui défile sous mes roues, je constate que vivre sur une planète propre me semble encore bien loin et peut-être même inaccessible. Mais je préfère quand même faire ce que je peux plutôt que de fermer les yeux, et de me plaindre.

Photo d’en-tête : La Birmanie a beau posséder des temples et une histoire hors du commun, son paysage est loin d’être toujours idyllique.


Références :

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Auteur du populaire livre « Histoires à dormir dehors » (Vélo Québec Éditions), Jonathan B. Roy est aussi photographe, diplômé en génie et en droit, et musicien. Ce touche-à-tout accomplit depuis mars 2016 lentement le tour du monde à vélo, et collectionne sur sa route les rencontres, les aventures et les histoires les plus invraisemblables. Avec plus de 30 pays traversés, il ne manque certainement pas d’inspiration ni de conseils !

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