Repousser ses limites. Voilà trois mots qui reviennent souvent dans le monde de l’expédition. Nous recherchons l’inconfort. Nous voulons, intentionnellement, nous mettre dans des situations qui nous font sortir des sentiers battus, des situations dans lesquelles l’adrénaline est reine. Nous savons très bien que l’adrénaline, c’est une drogue dont on peut difficilement se passer après y avoir gouté. Les gens qui font de la haute montagne profitent de cette drogue à forte dose, mais les voyageurs au long cours peuvent aussi jouir de ses effets. Évidemment, je ne parle pas ici du voyageur qui décide, pour une courte période de temps, de s’assoir sur le bord d’une piscine, face à la mer, pour boire un petit cocktail aux fraises. Je parle plutôt de gens qui laissent la facilité de côté, prennent leur sac à dos et décident de visiter le pays de l’intérieur.
Pourquoi recherchons-nous ces inconforts? En vélo, nous avons le temps d’y réfléchir, croyez-moi. Le poids des montures, les vents de face, la pluie, les froids qui frôlent le point de congélation et les nuits difficiles nous poussent souvent à nous questionner sur notre motivation à relever ce genre de défi. Par exemple, comme nous ne dormons pas à l’hôtel, il faut savoir que trois jours de pluie, c’est aussi trois jours d’humidité à 4 °C. C’est dans ces conditions que nous découvrons la vraie valeur des vêtements techniques. Vive la laine mérinos et les sacs de couchage en duvet! Sauf que, le matin, il faut tout de même trouver le courage de sortir de ces sacs de chaleur. De plus, notre sommeil est souvent interrompu par des trains qui passent à quelques mètres de notre tente ou par des petits animaux, comme le tatou, qui surgissent pour nous sentir le fond de tête. D’ailleurs, comme ces petits animaux à carapace ont une très mauvaise vision, il n’est pas étonnant que nous les retrouvions morts sur la chaussée. En plus, ces petits insectivores ont malheureusement la mauvaise habitude de sauter lorsqu’ils sont effrayés. Imaginez leur réaction au passage d’une voiture. Il y a aussi les orages violents qui nous réveillent subitement, comme celui de la nuit dernière. Les éclairs nous ont alors aidés à apercevoir brièvement nos chaussures, qui flottaient à côté de nous. Nous avons pris la frontale pour y voir plus clair et pour réaliser que nous étions à l’endroit précis où l’eau s’accumulait le plus sur le terrain; comme si nous avions délibérément choisi de tenter sur un lac. Par chance, la tente n’a pas pris l’eau, mais nous pouvions sentir, sous nos matelas, une accumulation aquatique qui nous donnait l’impression d’être sur un lit d’eau. Confortable? Euh… Presque.
Malgré l’épuisement, nous tenons bon. Nous ne lâchons pas. Sauf qu’après 2500 km, c’est notre corps qui nous envoie des signaux. Geneviève a, depuis plus de deux semaines, une douleur au genou qui ne semble pas vouloir lui donner de répit. Nous savons qu’un bon positionnement sur le vélo est primordial pour ce genre d’expédition. Nous avons donc essayé de faire tous les microajustements nécessaires pour optimiser son positionnement sur son vélo. Nous avons même dû prendre quelques jours de repos pour donner une chance à ses tendons de récupérer. C’est bizarre, mais pendant ces périodes d’arrêt, nous nous sentons coupables de ne pas être sur la route. Comme si nous ne rentrions pas travailler.
Aujourd’hui, nous en sommes à nos derniers coups de pédale en sol floridien. Demain, nous serons dans l’État de l’Alabama! Il est présentement 6 h 27 et il fait -1 °C (en bon québécois, il fait frette.) Un homme sort de sa roulotte avec sa petite bouteille d’eau à la main. Il sort une cigarette, l’allume, entre dans sa camionnette et démarre son moteur. Il reste planqué là à se faire réchauffer par son moteur diesel pendant près de 45 minutes. Son chien lui exprime sa solitude en lui jappant ce qui nous semble être des insultes. Nous, nous sommes assis sur la table de pique-nique, une tasse de café à la main. On annonce des éclaircies pour les prochains jours. Nous embarquons sur nos vélos, le monsieur nous regarde et nous salue. C’est parti pour une autre journée! À quoi va-t-elle ressembler? Nul ne le sait. Ce que nous savons cependant, c’est que, chaque matin, en enfourchant nos vélos, nous ressentons toujours cette même formidable sensation de bien-être et de liberté, avec en tête l’air de la série télé Le Vagabond. Geneviève me regarde avec un large sourire. Maintenant, je connais précisément les motivations qui nous poussent à faire ce périple!
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