Deux semaines à l’avance, j’apprends que je dois me rendre en Allemagne pour le travail. Le tout n’a rien à voir avec le sport; je dois aller à Köln (Cologne) pour un congrès de jeux vidéo. Toutefois, par pur plaisir, je me suis mis à regarder le calendrier des évènements sportifs à proximité du colloque. Demi-marathon? Triathlon? Je tombe sur le plan le plus corsé : le Championnat européen de Ironman 70.3 à Wiesbaden, une ville tout près de Francfort. D’emblée, je me fixe un seul objectif; y aller pour le plaisir et l’expérience plutôt que pour la compétition. Avec le recul, je constate que cette manière de considérer ma participation à l’événement était la bonne.
Pour la seconde fois en deux mois, je glisse des événements sportifs à mes séjours de travail à l’étranger. Quand on est bien organisé, rien n’est impossible. Toutefois, avec deux semaines de préavis, le tout s’est fait à un rythme endiablé.
Les deux semaines précédant la course et mon arrivée en Allemagne ont été très épuisantes. J’ai dû changer la date du vol pour arriver deux jours plus tôt, décider du moyen de transport une fois en Allemagne (train ou voiture), trouver un hébergement, choisir entre amener mon vélo ou en louer sur place, etc. Il faut en compter environ 100 $/€ pour transporter son vélo pour un aller vers l’Europe avec KLM/Air France. Les semaines ont déferlé si rapidement que j’ai seulement fait mes sacs deux heures avant de quitter pour l’aéroport!
L’avantage de quitter le soir de Montréal et d’atterrir le matin en Allemagne est qu’il est possible de dormir dans l’avion une nuit quasi complète et de se réveiller pour commencer sa journée. Enfin, ce n’est pas le meilleur sommeil avant une course, mais c’est mieux que rien. Un peu de mélatonine et une paire de bouchons pour les oreilles peuvent être d’excellents alliés. Pour tenter de garder les jambes plus ou moins fraîches, j’avais tout de même prévu des bas de compression pour le vol.
Ayant atterri à Cologne la veille du triathlon, à quelques 160 km de ma destination finale, j’ai dû louer une voiture. Après mes tentatives de réservation en ligne infructueuses, mon option a été d’espérer qu’il reste quelques disponibilités. Chez Europcar, je prends leur dernier véhicule; une petite Opal. Malgré mon appréhension sur l’espace interne restreint du véhicule, mon vélo et mes deux sacs entrent. L’autobahn allemande est une curiosité en soi. C’est une autoroute au décor féérique, dotée de voies très larges bitumées à la perfection et sans postes de péage. Seul bémol : la limite de vitesse. J’ajouterai d’abord un détail : je suis plutôt du genre à rouler à 90 km/h au Québec pour économiser sur l’essence. En Allemagne, à moins d’indication contraire (limite à 80, 100, 120 ou 130), il n’y a pas de limite de vitesse. En bref, je me suis conformé à la vitesse moyenne pour rouler à environ 140 km/h. Et encore! À ce rythme, je ne fais que suivre dans la voie du centre alors que plusieurs passent à 200 km/h dans la voie de gauche.
Arrivé à Wiesbaden, tout est très bien organisé. Le site est magnifique et l’architecture est majestueuse et dépaysante. Une foire d’exposants de triathlon permet de pallier l’oubli de ma ceinture à numéro. Aussi, j’achète des capsules de CO2 (interdites dans l’avion) et deux bidons de vélo que je pourrai échanger dans les zones de ravitaillement contre des bidons pleins durant le triathlon du dimanche. Ensuite, direction zone de transition à Raunheim pour y placer mon vélo et y laisser mes sacs de transition. Ce triathlon a la particularité d’avoir deux zones de transition différentes : une à la sortie de l’étape de nage, loin du site principal, et une autre dans la ville pour passer du vélo à la course. Tout l’équipement doit être placé la veille de la course, avant 19 heures. Je serai donc en mode opératoire pour remonter mon vélo et tout laisser en place. Il y a énormément d’activité sur le site et toutes les personnes sur place sont déjà enthousiastes!
J’étais surpris de mon aisance à parler allemand malgré mes cours universitaires logés dans une mémoire lointaine. Au besoin, la capacité des Allemands à parler anglais rend la discussion très facile. Ce détail n’aurait donc pas été un obstacle, mais dans tous les voyages, je remarque à quel point parler ou baragouiner la langue locale est une forme de respect incroyable. C’est dans un mélange d’allemand, d’italien et d’anglais que j’ai commandé mon souper de gnocchis, de pizza et de bière désalcoolisée (on en trouve partout en Allemagne) dans un restaurant italien de quartier. La cuisine italienne est omniprésente dans cette partie de l’Allemagne (la région de Hesse), davantage que la cuisine très calorique locale faite de toutes sortes de variantes de porc et de patates. Mes hôtes italiens trouvaient passionnante ma dévotion à engouffrer de grandes quantités de nourriture la veille de la course. Si bien qu’ils m’ont forcé à terminer le tout à leur frais avec une grande dose de grappa (alcool fort italien), malgré mes tentatives pour leur expliquer les effets négatifs de sa consommation sur ma course du lendemain. C’était le premier élément qui retira tout stress et ambition de performance pour le lendemain. J’aurai donc la voie libre pour simplement profiter de l’évènement sans me concentrer vainement sur la performance. Il ne suffisait plus que je me rende à l’auberge de jeunesse pour que le décalage horaire finisse de m’assommer et me laisser dormir profondément.
Normalement, je suis très nerveux la veille d’une course et encore plus le matin même. Cela n’a pas été le cas à Wiesbaden. Je suppose que l’acceptation d’être là pour l’expérience plus que pour la performance en a été beaucoup. J’ai si bien dormi que je me suis réveillé vers 5 h 50, me sentant en pleine forme. Fait d’autant plus exceptionnel, j’ai réussi à déjeuner avant la course sans avoir de maux de ventre ni d’ennuis gastriques.
Une navette amène gratuitement les athlètes de la ville vers le départ à quelque 30 km de là. L’ambiance au départ est électrisante. L’animateur de foule est vraiment intensément positif et chaque vague de départ (par groupe d’âge) est propulsée par une masse de bruit. L’eau du lac artificiel Waldsee de Raunheim est bleu-grise et argileuse. Sa luminosité est cependant tellement brouillée que l’on voit à peine sa main. À mi-chemin du parcours de nage, il faut sortir de l’eau et courir en zigzaguant sur une vingtaine de mètres (ce que l’on appelle une sortie australienne dans le jargon) avant de replonger.
Une fois sorti de la nage, je trouve mon sac de transition, retire rapidement ma combinaison isothermique pour l’y engouffrer et je pars avec mon vélo. Ayant vendu mon vélo de triathlon la semaine précédente (ce qui était planifié, à l’inverse de cette course), je me suis résolu à rouler avec mon vélo de route tout en y ajoutant des barres d’extension aérodynamiques qu’un ami m’a généreusement prêtées. Mon léger manque de temps pour changer ma position m’a valu un certain inconfort sur le vélo, mais j’apprécie tout de même le paysage allemand de champs et de montagnes. Le parcours est divisé entre de petits vallons où paissent des moutons et de longues montées. De toute évidence, je me concentre sur le plaisir de la course et, malheureusement, le transport aérien n’avait pas épargné mes jambes. Les montées se faisaient en douleur et en douceur, parfois sur des chemins féériques cachés par de grands arbres alors que des centaines de cyclistes se suivent sans faire de bruit, laissant au cadre enchanteur la puissance de son enveloppe embrumée.
Avec quelques passages plutôt techniques et une chaussée mouillée, mon manque d’expérience en descente me démarque du lot. Quelque chose me tracasse avec ma roue arrière, ce qui me force à prendre lentement les courbes d’un parcours dont j’ignore tout à l’exception de son dénivelé. Finalement, c’est lors d’une descente très sinueuse et dans une courbe potentiellement dangereuse que je réalise que je chemine depuis un certain temps sur un pneu à moitié dégonflé. Ceci sacralisa la conception que je m’étais faite de ma participation à cette course : avant tout une question de plaisir et d’expérience. J’avoue avoir pris un temps anormalement long pour changer ma crevaison. J’en profite pour jaser aux partisans locaux qui s’amusent bien de voir un Canadien sur le circuit.
En arrivant finalement à la transition finale vers la course à pied, la foule est nombreuse et très encourageante. Le soleil daigne traverser quelque peu les gris nuages pour m’aider à franchir les derniers 21,1 km à la course de cet évènement. À tous les tours, un bénévole me donne un bracelet de couleur jusqu’à ce que j’obtienne les quatre couleurs qui permettent d’accéder au fil d’arrivée! Bien que je prenne le tout plus tranquillement qu’à mon habitude, j’avais repris un certain élan de fierté dans les derniers kilomètres afin de compléter le demi-marathon sous la barre des 1 heure 40 minutes.
Le fil d’arrivée est toujours magique dans ce genre d’évènement. À Wiesbaden, l’organisation de fin de course est tout simplement géniale! On peut y boire et manger comme on le veut sous un grand chapiteau. On peut s’y doucher proprement (en y ayant préalablement laissé un sac de fin de course) avant de se faire masser gratuitement. La cérémonie de remise des médailles (podium dont je suis bien sûr exclu) transpose également ce bel air de fête et permet la proximité avec les athlètes professionnels qui ont animé le parcours de leurs records et dévotion inspirante. Après avoir démonté à nouveau mon vélo et nettoyé ma combinaison isothermique à l’auberge, il ne me reste plus qu’à me reposer et passer du bon temps dans cette ville très reposante. Surtout, il me faut apprécier leur festival du vin du Rhin! Avec ses plusieurs centaines d’exposants, il détient le record du plus long bar à vin au monde.
Parfois, il suffit d’une occasion qui s’ouvre pour se jeter sur une expérience nouvelle et d’en profiter pour ce qu’elle est. Une idée un peu insensée et une légère planification et le tour est joué! Maintenant que ce cadeau à moi-même est passé et que j’ai pu vivre ce championnat en observateur actif, il ne me reste plus qu’à me préparer pour ma prochaine course, cette fois sérieusement : le triathlon Esprit du 6 septembre prochain.