Par Michèle Leclerc
Ils marchaient, sans papiers, avec leur passeport pour la vie estampé de liberté. Ces hommes, visage et lèvres gercées par le vent, vivaient au grand air, dans la simplicité. Ils avançaient de village en village sans aucune idée de ce que serait leur lendemain. Ces aventuriers refusaient de se conformer à notre société. Ces personnages mystérieux marchaient dans les campagnes. Ils revenaient d’année en année aux mêmes lieux, à peu près à la même saison. Cheveux longs et vêtus de vieux pantalons, ils se présentaient pour demander la charité pour l’amour du Bon Dieu ou l’hospitalité en échange d’un service. Certains se faisaient même passer pour des guérisseurs! Dans leurs manteaux, ils cachaient des remèdes et des onguents pour guérir tout. Ils pouvaient réparer des parapluies ou raconter les contes et les légendes des villages voisins. Ces rapporteurs ramenaient avec eux les potins des paroisses.
Sans s’annoncer, l’un de ces quêteux frappait à la porte d’une maison ancestrale. À peine le pied dans l’entrée, le cultivateur allait chercher dans le fond de son tiroir, quelques sous pour faire la charité. C’était malaisé de refuser. Il lui donnait une petite cenne blanche; un 10 sous. Le quêteux répondait chaque fois : « Vous êtes du bon monde. J’sais pas comment vous remercier! Le Bon Dieu va vous le rendre. » Mais tous les cultivateurs n’étaient pas généreux. Certains considéraient ce dernier durement à cause de son apparence de vagabond aux vêtements rapiécés et fréquemment tachés. Parfois, on lui fermait même la porte au nez, à cause de fausses histoires qui circulaient sur lui. Il devait chercher un autre endroit pour s’arrêter. Après son départ, certains fermiers cachaient même leurs biens précieux dans le fond du puits par peur d’être volés.
Parfois, ma grand-mère me racontait l’histoire des conteurs de l’imaginaire. Elle n’aimait pas trop dire les « quêteux », même s’ils portaient aussi ce nom. Chez mes arrière-grands-parents, le conteur de l’imaginaire entrait sans être jugé. L’homme regardait la famille d’un air implorant. Ça sentait le bouillon de poulet qui mijotait. Une ribambelle d’enfants dévisageaient l’étranger qu’il était. Autour de la table, avalant à grandes lampées sa soupe chaude aux légumes et dévorant son pain beurré, il contait ses aventures parfois cocasses : des histoires et des légendes des rangs où il avait marché. Ce qui me frappait, au fil du récit de ma grand-mère, c’était la dimension du temps. Au 21e siècle, tout doit se faire instantanément. Le conteur, lui, arrêtait le temps, l’espace d’un moment. Il expliquait que sa longue journée de marche lui permettait de méditer. L’échange durait la soirée. Il captivait toute la famille assemblée autour de lui, à la table de la cuisine. Parfois, mon arrière-grand-père sortait son violon de son étui et terminait la veillée par un rigodon. Au coucher, mes arrière-grands-parents lui offraient la rusticité du banc placé dans la cuisine ou à l’entrée : le banc du quêteux. On en sortait une paillasse. Il n’était pas question de faire dormir l’étranger dans une chambre de la maison. Presque toutes les fermes avaient ainsi, une place pour accueillir les passants. Il arrivait que le quêteux reste quelques jours ou même un mois au même endroit, en échange de travail. Qu’importe, il y avait partage et tous étaient plus riches de la rencontre.
Les quêteux, tels qu’ils étaient à l’époque, ont disparu avec la venue de la sécurité sociale. Il y a cependant encore des marcheurs. De nos jours, ils sont mieux habillés et confortablement chaussés. Ils se croisent sur les pistes de randonnées ou dans les rues de quartier. Ils apprivoisent leur fragilité dans l’effort. Souvent, le randonneur fait un bout du trajet avec un pèlerin rencontré sur le sentier. Tous les deux s’assoient pour méditer dans un monde paisible et simple pour contempler la beauté du paysage; une récompense qu’ils ont amplement méritée. Aujourd’hui, en regardant, dans mon entrée, le banc du quêteux que mon père m’a légué, je me remémore ce voyageur sans papiers. J’ai compris, au fil des années, que c’est le chemin qui importe et non la destination. Il nous transforme et offre des petits bonheurs qu’il nous suffit d’attraper. En ces semaines de réjouissances, je pense à la sobriété et surtout à la joie des réunions improvisées. Je vous souhaite d’agrémenter cette période de l’année par de simples rencontres entre familles et amis. Joyeuses fêtes!
Derniers articles de Michèle Leclerc (Tous les articles)
-
Les 11 en route
Tour du monde : l’Europe - 11 décembre, 2015 -
Les 11 en route
La préparation d’un tour du monde : l’Europe - 30 octobre, 2015 - Préparation pour faire un tour du monde - 2 octobre, 2015
Soyez le premier à commenter