J’ai farté mes skis avec soin et ils sont accotés contre le mur près de la porte avant. Pas question de sortir par la porte arrière, car l’escalier en colimaçon est recouvert de glace. Autrefois, ma tête de cochon ne m’empêchait pas de prendre des risques inutiles, mais voici que je favorise la prudence. Ce serait trop bête de me blesser avant même d’avoir mis le pied sur le mont Royal. Toute cette neige ne me servira à rien si je ne suis pas en forme. Et quelle forme, car j’ai bien mangé et je me sens fort comme un taureau, prêt à m’élancer dans les pistes pour la première cette fois cette saison. Je termine de m’habiller et c’est parti!
Le mercure indique -15°C et il n’y a pas de vent. Mes skis sous le bras, j’enfourche mon vélo et je suis parti. Les pneus cloutés font leur magie sur la chaussée glissante, recouverte de plaques de glace meurtrières. Rouler pour skier? Hein? C’est pourtant vrai… j’emprunte mon fier vélo de ville doté de pneus cloutés pour me rendre au mont Royal avec mes skis de fond. Vous direz ce que vous voulez, mais moi ça m’arrange, et ça m’évite de marcher avec mes skis. L’autobus avec mes Rossignols, ce n’est pas pour moi.
Je cadenasse le vélo sur le garde-fou de l’édifice en face du monument à l’effigie de George-Étienne Cartier. La neige arrive bien au-dessus du moyeu de la roue, c’est bon signe. À bientôt mon p’tit vélo. Pour l’instant, c’est sur mes skis que ça va se passer. Le feu vert me signale que je peux traverser l’avenue du Parc. En traversant, j’aperçois les regards perplexes du côté des automobilistes, car on dirait que ce n’est pas tout le monde qui a déjà observé un bonhomme habillé en lycra traverser la rue avec des skis de fond sous le bras en pleine ville.
« Bonjour George-Étienne… content de te revoir. »
Je fais quelques pas de plus et je suis rendu à l’entrée de la piste de 3,7 km qui se dirige le long du chemin Olmsted, vers les boucles du sommet du mont Royal. Elle s’appelle la piste 2. Si cette piste est moins palpitante que les boucles du sommet, elle sert toutefois d’échauffement plus qu’adéquat. Le moteur a besoin de se réchauffer avant d’entamer les pistes plus techniques qui se trouvent plus haut. Et de toute façon, je n’ai pas de choix, car c’est la seule piste qui monte vers le butin au sommet. Même sur cette « piste d’échauffement », la vue est spectaculaire – c’est blanc partout, la neige et la forêt masquent la cacophonie de la ville et on se sent de plus en plus dépaysé. Les petits soucis de la vie sont oubliés, du moins pour le moment. Maintenant, c’est moi et la montagne… tout le reste, ça ne compte plus. Plus haut, j’aperçois les gratte-ciels au lointain, à travers les arbres. Le contraste est saisissant et je suis momentanément déconcentré.
Mon rythme est constant, comme celui d’un métronome. La piste a été aménagée sur le côté droit du chemin Olmsted, comme d’habitude. À gauche de celle-ci, la neige a été tapée dure par les marcheurs, les coureurs, et les cyclistes en cyclocross et en fat bike. Un coureur me rattrape et me double. Ça m’embête un peu, car je veux m’imaginer que lorsque je suis sur mes skis, je dispose de la façon la plus efficace pour monter le chemin Olmsted enneigé. Malgré moi, un bon coureur avec une bonne foulée me prouve l’inverse. Mais tiens, voilà que je le rattrape.
Finalement rendu à l’entrée des pistes du sommet, je commence à m’énerver un peu, en anticipation des boucles du sommet qui m’attendent. Dans le boisé du sommet, c’est un autre monde qui se dévoile. La forêt enchantée dans mes comtes d’enfants d’antan a été inspirée d’ici, j’en suis certain. Le coureur? Il est disparu.
Les boucles du sommet consistent de deux tracés (toujours la piste 2) qui s’unissent par un tunnel qui passe sous le chemin d’accès au Belvédère Kondiaronk. Empruntant des sentiers de randonnée, ces pistes sont tracées par la Ville de Montréal et elles suivent un parcours truffé de montées et de descentes, de quoi régaler les plus grincheux des fondeurs. Pour un total de 5,5 km de pistes (les boucles du sommet seulement), c’est un endroit idéal pour s’entraîner, se divertir, ou tout simplement pour changer d’air.
Le côté technique des boucles du sommet exige un certain niveau d’habileté. Un débutant se ferait beaucoup de mal à s’essayer, et pourrait même mettre sa sécurité et celle des autres skieurs en péril. Des boucles mieux adaptées aux débutants sont aménagées plus bas, vers la Maison Smith et le Lac-aux-Castors. Il est recommandé de passer quelques journées dans les pistes des autres parcs de Montréal ou ailleurs avant de s’attaquer à la piste 2 du mont Royal.
Une bonne gorgée d’eau de la bouteille dans mon sac et je repars. À moi la piste 2! La glisse n’est pas mauvaise ce soir… on avance bien. Après seulement une centaine de mètres, la forêt se dégage sur une vue splendide du Lac-aux-Castors. Plus tôt, il n’y avait pas de vent, mais voilà qu’il se lève et me donne une bonne giclée en plein visage. En fait, ça me fait un monde de bien après la montée. Je distingue des patineurs qui tournoient plus bas, sur la patinoire du lac.
En continuant, la piste s’engouffre à nouveau dans le bois et quelques mètres plus loin, elle prend un tournant serré à droite, vers le Mur. Ce que j’appelle le Mur est en fait la montée la plus longue et pentue de la piste 2. La première fois qu’on la monte, elle laisse une impression marquante, mais après quelques années de ski sur cette colline, elle a perdu un peu de son mordant parce que je m’habitue. Néanmoins, elle demeure le plus grand défi physique de la piste. Tout dépendant des conditions de neige et de la qualité de votre fartage ou de vos écailles, on réussit à la monter sans difficulté et sans avoir à faire un « V » très ouvert en montant en pas de canard. Certains non habitués se découragent suite à cette montée, craignant que la piste soit souffrante à partir de ce point, mais c’est une montée exceptionnelle. Les prochaines montées sont beaucoup moins longues.
On compte deux montées et trois descentes pour la première boucle et c’est pareil pour la deuxième. En faisant un petit calcul, on constate qu’il y a quatre montées versus six descentes. J’ignore si ce détail était intentionnel ou non, mais j’ose dire que l’architecte de la piste a réussi son travail, car les skieurs ont droit à un plus grand nombre de descentes que de montées. Pour la majorité du monde, c’est une caractéristique qui fait de l’expérience un plaisir inestimable. Et lorsque l’on considère que ces installations sont fournies gratuitement, c’est tout à fait remarquable. L’hiver à Toronto, il doit certainement être moins intéressant!
Une des descentes de la première boucle est particulièrement capricieuse, car elle descend doucement en suivant une courbe légère qui empêche le skieur de voir si un ou plusieurs autres skieurs se sont plantés dans la piste. Ce n’est pas forcément une section casse-cou, mais elle demande une plus grande attention avant de se ruer dans la descente. En fin de semaine, cette piste devient cauchemardesque pour plusieurs skieurs à cause de l’achalandage causé par les chutes. Lors de ces journées, il arrive que l’on retrouve deux ou trois skieurs étalés dans la piste, se faisant du mal à se remettre sur pied. La tuque a revolé par la gauche, une mitaine est partie par la droite, et un bâton est logé dans un arbre. Selon mon observation, suite à une chute dans cette section, c’est l’orgueil qui mange une claque et non l’ossature, mais prudence avant tout!
Sans ses petits défis et caprices, le mont Royal n’aurait pas la même personnalité qui donne à l’expérience en skis de fond sa qualité inoubliable et ludique.
Et n’oublions pas les finales de la Coupe du monde 2016 qui se sont arrêtées à Montréal pour la première fois. Prévu à l’origine pour le sommet de la montagne, le parcours a dû être réaménagé au pied de la montagne, à cause de problèmes techniques. Ce nouveau parcours construit spécialement pour l’événement a complètement transformé le pied de la montagne, avec des plateformes et des virages artificiels construits d’acier, d’aluminium et de bois, ensuite recouverts de neige. On aurait dit un parcours conçu par les bols de Red Bull.
Mais, chose extraordinaire, au lieu d’être prestement démonté, le parcours est resté en place pendant une semaine, suite à l’événement de la Coupe du monde. Et devinez qui est allé skier ses virages? Ce circuit éphémère offrait plusieurs virages très serrés, plusieurs montées dont une très pentue, et une descente particulièrement périlleuse suivie d’un virage très serré. Bref, un plaisir incalculable pour un amateur de ski de fond. Skier le circuit des pros – quelle chance! L’idée qu’un citadin commun puisse tout bêtement se présenter sur les lieux, sans billet et sans restriction quelconque, et skier sur un circuit qui a coûté une fortune… c’est presque impensable.
J’envoie ma lettre de remerciement aux organisateurs de l’événement ou à la mairie (sortante) de Montréal? Il n’est peut-être pas trop tard… avec un peu de chance, ma lettre de remerciement les encouragera peut-être à organiser une 2e édition de la Coupe du monde à Montréal dans un avenir proche. D’ici là, les pistes de ski de fond habituelles du mont Royal restent de loin mon terrain de jeu préféré dans tout Montréal.
Monsieur le coureur, ce n’est que partie remise…
Christian Bisnaire
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