Nous étions quatre gaillards prêts à tout pour profiter au maximum de courtes vacances sans dépasser notre maigre budget. Nous avons donc engouffré dans un gros VUS loué tout le nécessaire pour notre périple : quatre vélos de route, des bottes de randonnée, du matériel d’escalade et de camping. Sans oublier notre cafetière italienne, surnommée gaz d’avion, à cause du fort bruit qu’elle produit lorsque son liquide sous pression passe à travers son filtre. Son nom vient aussi de ses cafés si forts et si denses que l’on pourrait probablement les utiliser comme carburant d’avion, rien de moins. Son précieux liquide nous a tenus éveillés au début de notre voyage, sur la route entre Montréal et Cape Breton (North Sydney). Ce trajet, fait d’une traite, nous a permis d’attraper le traversier pour nous rendre à Placentia, au sud-est de Terre-Neuve.
C’est dans une magnifique brume que nous sommes partis à bord du traversier ; un voyage qui a pris toute la nuit. Peu après être montés à bord du bateau, nous avons fait la conversation à l’un des matelots. De son fort fort accent terre-neuvien (plutôt écossais que canadien), il s’est fait un plaisir de nous prédire que nous allions éprouver beaucoup de bonheur à découvrir sa province. Il nous a même affirmé que nous ne serions pas prêts d’oublier ce voyage. Il avait placé la barre haute, c’était le moins qu’on puisse dire.
Notre premier arrêt sur la terre ferme nous a menés dans la capitale de Saint-Jean-de-Terre-Neuve. Nous y avons admiré son port brumeux depuis Signal Hill, le lieu des derniers affrontements en Amérique du Nord entre Français et Anglais, en 1762. Nous y avons aussi contemplé la beauté des rues en pente serties de maisons colorées qui nous rappelaient San Francisco. Après ce bref intermède historique, nous nous sommes enfilé un petit gaz d’avion et nous avons enfourché nos vélos pour découvrir la péninsule du sud-est.
Alors que l’un des quatre larrons du groupe était assigné à conduire la bagnole pendant quelques heures, les trois autres profitaient de leurs vélos. Puis, on se relayait pour que tous puissent pédaler dans ce décor époustouflant le long des côtes. Nos yeux étaient remplis d’émerveillement alors que nos jambes combattaient à la fois le vent et les côtes, contredisant nos croyances voulant que Terre-Neuve soit une province plate.
L’intérieur brumeux des terres nous faisait vivre des sorties cyclistes dramatiques et magiques. Le soir venu, nous avons pris un malin plaisir à chercher les bords de mer pour y poser nos tentes compactes en toute impunité. L’occasion nous a aussi servi à tester notre bravoure, car prendre une douche impliquait nécessairement de se tremper régulièrement dans l’Atlantique. L’effet rafraîchissant était garanti!
Les côtes de Terre-Neuve nous ont mises en tête d’essayer de goûter aux fish and chips des différentes régions que nous croisions et de profiter de la fraîcheur incomparable des morues. Nous avons été servis!
Or, nous avions aussi un autre plan en tête : nous rendre sur les quais pour tenter d’acheter directement les produits de la mer aux pêcheurs qui revenaient du large. Nous avons mis notre plan à exécution au village de Trepassey, là où jadis Jacques Cartier se serait arrêté.
Au milieu de l’après-midi, tout était très calme. Aucun signe de vie à l’horizon. Après avoir discuté avec une des villageoises, nous avons appris que les bateaux reviendraient du large en fin de soirée. Nous espérions leur acheter un ou deux homards. À leur retour, les pêcheurs étaient affairés à transférer leur cargaison hors des navires. Armés d’un billet de vingt dollars, nous leur avons expliqué notre plan. Malheureusement pour nous, ils ne pouvaient pas nous vendre des produits de leur pêche puisque ce geste illégal aurait pu leur valoir une amende très salée. Alors que nous discutions de nos options entre nous, digérant mal notre déception, le pêcheur que nous avions abordé dépeçait très habilement des crabes des neiges en un seul mouvement sec, mais précis, sur le coin d’une table. Lorsqu’il a eu fini de remplir un sac de vidanges gigantesque de crabes, il nous a regardés dans les yeux et a fini par nous dire « Est-ce que c’est assez? » Nous sommes restés incrédules. Il nous offrait gracieusement un sac qui contenait peut-être plus d’une cinquantaine de crabes!!! Notre interlocuteur s’est moqué de nous gentiment et nous fait promettre de raconter cette anecdote en échange des crabes. Promesse tenue! Cette nuit-là, nous avons mangé comme des rois en faisant un feu de bois de grève directement sur la plage où nous avons campé. Le lendemain, les coquilles vides éparpillées étaient les seuls vestiges de notre présence.
Nous nous sommes ensuite arrêtés à Flatrock pour y faire de l’escalade de roche à flanc de mer. Les vagues venaient fouetter les rochers pendant que nous nous élancions pour grimper vers le haut de la falaise. Au menu : escalade sportive et quelques problèmes de bloc résolus sur la plaine en haut des falaises. Cette expérience était surréelle. Nous aurions aimé la prolonger davantage, mais la pluie menaçait de tout gâcher à tout moment. Nous avons donc repris la route jusqu’au parc national du Gros-Morne.
Nous avons vraiment passé un temps des plus agréables à Rocky Harbor et Norris Point, les villages qui bordent le parc du Gros-Morne. La vie locale y était très dynamique. Nous avons profité des soirées de guitare ouvertes à tous pour savourer les bières de microbrasseries locales.
Après avoir profité des douches chaudes du camping du parc, un luxe qui contrastait avec la débarbouillette habituelle, nous avons décidé de faire un aller-retour au Gros-Morne. Le parc proposait plusieurs randonnées de différentes longueurs, mais comme notre temps était compté, nous avons opté pour une courte rando. Comme nous avons décidé de courir sur le sentier du Gros-Morne, nous n’avons tristement pris aucune photo de cette partie de notre voyage. Mais je peux vous dire une chose : c’est l’endroit le plus magnifique et le plus impressionnant de Terre-Neuve. Ce n’est pas sans raison qu’il se trouve sur la liste de l’UNESCO depuis déjà trente ans. Vous êtes un amateur de fjords ? Ce lieu est un incontournable.
Pour terminer notre expérience au parc, nous avons loué des kayaks de mer et nous avons profité d’une journée magnifique pour pagayer, nous reposer sur la plage et jouer à notre sport de bord de mer favori : frapper des galets avec un bâton de baseball improvisé, fait de bois de grève.
Déjà, il nous fallait revenir alors que nous réalisions à quel point cette expérience resterait gravée à jamais dans notre mémoire. Et ce, sans savoir que des orignaux traverseraient nonchalamment la route devant notre véhicule pour nous donner une dernière petite frousse en quittant l’île.
De retour sur le continent, et déjà nostalgiques, nous avons fait une dernière halte à Kamouraska pour y escalader ses voies uniques, profiter des commerces locaux et ingurgiter un dernier petit gaz d’avion pour clore en beauté ces dix jours mémorables. Les prédictions du matelot terre-neuvien s’étaient avérées…
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