C’était une de ces belles journées du mois d’octobre où tous les coureurs espèrent quitter tôt le bureau pour enfiler leurs chaussures de course. Cette journée-là, j’ai marché d’un pas décidé vers un bâtiment blanc du boulevard Crémazie à Montréal. Je m’apprêtais à faire quelque chose qui m’était inconnu et j’étais anxieuse.
J’ai gravi les marches d’un escalier métallique. L’odeur et les bruits m’étaient peu habituels. Puis, j’ai ouvert la porte et je me suis fait accueillir par un homme aux bras gonflés et au grand sourire.
– « Bonjour, bienvenue au gym! Qu’est-ce que je peux faire pour vous? m’a-t-il lancé, tout souriant.
– Euh… salut… J’aimerais m’inscrire à votre gym pour quelques mois », lui ai-je répondu l’air assez timide. « Je me suis blessée en course à pied et j’aimerais garder la forme le temps de ma guérison. »
Ça, c’était tout juste cinq semaines après la course de la Chute du Diable, alors que je venais d’accepter que j’étais blessée et que ma saison de course était bel et bien terminée. Quelques semaines après cette compétition diabolique, j’avais fait un certain nombre d’essais de jogging sur sentier. Tous s’étaient conclus par d’importants élancements dans le genou et la hanche droite.
Mon diagnostic était tombé à la suite d’une visite chez le chiropraticien : j’avais le syndrome de la bandelette iliotibiale. Non seulement je subissais ma première blessure de coureuse, mais c’était l’une des plus redoutées par les coureurs, car sa guérison nécessite essentiellement du repos et de la patience. Dans le domaine de la course, ce sont deux points que je maîtrise très mal!
Arrêter de courir pour quelque temps, alors que cette activité est au centre de ma vie depuis plus de trois ans, c’est quelque chose qui me semblait impossible à faire. Je suis une de ces coureuses qui a trouvé son espace de méditation dans la course. Je cours mes joies, mes peines et mes tensions sur les sentiers. Je fête mes réussites et je retrouve le calme en dévalant des kilomètres au milieu des montagnes. Mieux encore, j’arrête de penser quand je cours et je me concentre sur le moment présent. Courir, c’est tout simplement magique pour moi.
Donc, en sachant que l’automne allait être éprouvant physiquement et mentalement, je me suis lancée dans une course effrénée à la guérison, tout en poursuivant deux objectifs : conserver un degré d’activité physique semblable à celui que j’avais maintenu tout l’été ET mettre tout en œuvre, d’un point de vue médical, pour retrouver rapidement l’usage de ma jambe blessée. Bref, à partir du mois d’octobre, je suis passée d’ultra-coureuse sur sentier à ultra-acharnée à guérir.
J’ai commencé par m’inscrire au gym. Moi qui aime courir seule dans les bois au rythme de ma respiration, je me suis retrouvée, plusieurs fois par semaine, assise sur un vélo, dans une toute petite salle éclairée par des lumières de discothèque, à essayer tant bien que mal de suivre les consignes d’une entraîneuse de spinning très motivée.
En parallèle, je me suis lancée dans le vélo de route et le vélo de montagne pour accompagner mon conjoint Louis-Philippe. Je souhaitais retrouver dans les sentiers la sensation de liberté que je ressens en plein air. Or, cette nouvelle vie n’a duré que deux semaines, car je me suis vite rendue compte que le vélo entretenait l’inflammation de ma bandelette.
Sans perdre espoir, je me suis alors tournée vers la natation, un sport qui a le mérite d’être doux pour le corps. Je ne m’étais pas entraînée en natation depuis l’âge de 10 ans, mais j’ai réussi à me motiver à plonger dans l’eau cinq fois par semaine. J’ai d’abord attaqué les 25 m de la piscine à la brasse, au crawl et au papillon pendant quelques jours. Puis ultimement, je me suis résignée à ne nager qu’avec les bras (et un flotteur entre les jambes), car même le battement de mes jambes m’occasionnait des douleurs à la bandelette.
Je me suis aussi mise au renforcement musculaire. Les matins de fin de semaine, alors que Louis-Philippe partait s’entraîner dans les bois, moi, je m’installais dans le salon avec un tapis de sol. Sous l’œil amusé de notre bouvier bernois, je travaillais mes abdos, guidée par des vidéos trouvées sur YouTube. Et la plupart du temps, je pouffais de rire! La musculation n’est certainement pas ma force…
Parallèlement à mon acharnement sportif, je me suis entourée de professionnels de la santé dans diverses disciplines. Entre septembre et décembre, j’ai été suivie en massothérapie, en ostéopathie, en chiropractie et en acupuncture. J’ai connu les étirements, le kinesio tape, la technique Graston, la glace, le Voltaren, les pansements à la Cayenne, les cataplasmes d’argile et j’en passe! Lentement, mes multiples thérapeutes m’ont dirigée vers un médecin sportif parce que ma fichue bandelette ne semblait pas bien répondre aux divers traitements.
À la mi-décembre, après plus de trois mois d’arrêt, je suis allée faire un test pour évaluer ma blessure. Le test a duré douze minutes, soit six minutes de course et six minutes de marche. J’ai commencé ma course en étant à la fois stressée, pimpante et heureuse et j’ai terminé larmoyante, en marchant avec douleur. Ma bandelette avait échoué au test. Le lendemain de cette course, ma consultation sportive s’est conclue par une infiltration de cortisone au genou et la consigne d’attendre trois semaines avant de faire une autre tentative de course à pied.
Je ferai de nouveau un test au début de l’année 2016, avec l’espoir d’entrevoir enfin un signe de guérison. D’ici là, je vais poursuivre mes sorties à la piscine, mes entraînements dans le salon et mes multiples visites chez le chiropraticien et l’ostéopathe. Et si ma bandelette répond bien aux traitements, je me mettrai au ski de fond quelques fois par semaine.
J’attends 2016 avec impatience, mais avec une légère incertitude quant à mon retour à la course. Je retrouve un peu de confiance en écoutant les histoires de blessures et de guérison de Louis-Philippe et celles de mes amis, des coureurs expérimentés. Tous m’ont fait comprendre que les blessures font partie de la vie des coureurs, qu’elles permettent un repos parfois nécessaire, qu’elles font découvrir les bénéfices de l’entraînement croisé et qu’elles permettent souvent de revenir plus fort physiquement et mentalement. J’ai bien envie de les croire. Après tout, ce n’est que ma première blessure de coureuse!
Ariane Adam-Poupart
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