Par Nicolas Paré
Le 3 janvier 2017. Le soleil se couchait à l’horizon. J’étais trempé jusqu’aux os et je m’affairais à retirer les deux étangs qui me servaient de bottes. Après une journée déjà haute en couleur, nous avions passé les dernières heures à descendre un sentier forestier, s’apparentant à une spartan race, pour ensuite traverser un marais, avec de la boue visqueuse jusqu’à la fourche, pour finalement nous retrouver sur le bord d’une route déserte. Dientes de Navarino avait été fidèle à sa réputation : sans véritable sentier et pleine de surprises.
Sur le bord de la route, je priais pour qu’une voiture passe et nous ramasse pour nous éviter de marcher les sept kilomètres qu’il nous restait à parcourir pour nous rendre à Puerto Williams. Or, comme nous étions couverts de boue, nous nous doutions que personne ne voudrait nous prendre sur le pouce. Aussi bien faire ce que nous savions faire le mieux : marcher! C’est la raison pour laquelle je n’ai même pas daigné lever le pouce quand j’ai entendu une voiture arriver derrière nous. La voiture s’est arrêtée, la vitre côté conducteur est descendue et l’homme s’est écrié : « A donde vas?* »…
Le 28 décembre 2016. Mais revenons au début de ce périple, lorsque ma copine était venue me rejoindre en Amérique du Sud il y a quelques mois. Elle m’avait dit : « J’aimerais passer le Nouvel An dans un endroit hors du commun! »
Chose promise, chose due…
Le bimoteur dans lequel nous avons pris place survolait la cordillère des Andes à l’endroit où la chaîne de montagnes vient mourir au creux des deux océans. Plus loin, nous admirions le Canal du Beagle, baptisé ainsi en l’honneur du bateau ayant servi à Charles Darwin à faire le voyage qui allait l’aider à formuler sa théorie de l’évolution.
Finalement, le petit avion s’est posé à Puerto Williams, sur la Isla Navarino, l’endroit habité le plus au sud des Amériques et de la planète (exception faite de l’Antarctique). L’expression « au bout du monde » nous semblait avoir été inventée pour décrire cet endroit.
Les passionnés d’Histoire savent que Ferdinand de Magellan, lors de son passage en 1520, avait vu des feux allumés sur les plages qui bordent cet endroit. Il avait surnommé cette région Terre de Fumée. Plus tard, l’endroit a été rebaptisé Tierra del Fuego (Terre de Feu).
Le village de Puerto Williams est le point de départ du sentier de grande randonnée le plus au sud de la planète : celui du circuit Dientes de Navarino (Dents de Navarino). D’une longueur d’environ 50 km, il se parcourt en trois à six jours d’autonomie complète, et passe à travers une contrée perdue faite de forêts vierges, de lacs et de montagnes.
Si vous voulez mon avis, tout séjour sur la Isla Navarino devrait commencer à la Résidence Pusaki. Patty Pusaki vous fera sentir comme chez vous dans son petit gîte. Tant qu’à y être, ce serait une erreur de ne pas essayer son centolla, un plat typique à base de crabe géant.
Jour 1 – LES CABOTS
Départ : Puerto Williams
Arrivée : Laguna del Salto
Distance : ± 13 km
Accompagnés par deux cabots qui nous avaient adoptés à la sortie de Puerto Williams, nous avons attaqué la première difficulté du parcours : le Cerro Bandera. Coiffée d’un drapeau chilien, la montagne dominait le Canal du Beagle.
À partir de là, et jusqu’à la fin, il n’y aurait plus que de rares inukshuks pour nous guider. Il nous fallait redoubler d’attention pour repérer ces petits tas de pierres faits par l’homme dans une contrée de roche.
Après quelques heures de marche à flanc de montagne, à la lisière de la forêt, nous sommes descendus jusqu’à la laguna del Salto. La pluie nous a attrapés à la fin de la journée. La descente était donc inévitablement glissante, et notre site de camping, détrempé.
Jour 2 – PAR-DELÀ LE BOUT DU MONDE
Départ : Laguna del Salto
Arrivée : Lago Windhond
Distance : ± 19 km
Le programme du jour était simple : rejoindre le Lago Windhond, un lac situé en marge du circuit, au sud de l’île. Après avoir atteint le Paso Austral, nous avons touché les berges d’un lac ravagé par les castors. Introduit dans ce coin de pays il y a un siècle, le castor ne compte aucun prédateur. Il détruit donc peu à peu l’écosystème de l’île…
Le sentier montait ensuite au sommet du Cerro Bettinelli, un immense tas de gravas. Là, il n’y avait aucune trace humaine. Pas plus qu’à 360 degrés à la ronde : la nature à l’état pur, comme nous en avions vu rarement. Pas même une cabane en bois ou une route de terre…
Du Cerro Bettinelli, nous pouvions admirer le Cap Horn à l’extrémité sud du continent. Réputé pour être le passage maritime le plus dangereux du globe, le Cap Horn est aujourd’hui le plus grand cimetière de bateaux sur Terre.
Nous avons atteint le Lago Windhond après avoir joué aux contorsionnistes dans une forêt verticale et traversé un marais spongieux parsemé de trous d’eau rouge où flottaient d’étranges substances ressemblant à du vomi. Assurément pas l’endroit où tu t’arrêtes pour remplir ta gourde… Nous y avons passé la nuit. Notre nuit la plus au sud sur Terre au sud du 55e parallèle sud.
Jour 3 – SKYFALL
Départ : Lago Windhond
Arrivée : Laguna Escondida
Distance : ± 20 km
Journée identique à celle de la veille, mais à l’envers. Et hop ! nous étions de retour sur le circuit. Le ciel nous a fini par nous tomber sur la tête peu avant d’arriver à la laguna Escondida. Dès notre arrivée, j’ai monté la tente en vitesse avant que nous trouvions sommeil… pour nous réveiller vers minuit, dans des sacs de couchage détrempés. Ma fidèle tente, avec laquelle j’avais traversé tant d’épreuves, a fini par flancher. La température ne dépassait pas les cinq degrés, et l’aube se pointerait le bout du nez dans six heures. La nuit s’annonçait très longue! Bien que le bruit de la pluie m’aide normalement à dormir, il n’a pas eu cet effet cette nuit-là…
Jour 4 – LE VENT D’HIVER
Départ : Laguna Escondida
Arrivée : Puerto Williams
Distance : ± 25 km
Le matin, le soleil a fait une brève apparition avant de céder sa place à la pluie. Après avoir longé plusieurs lacs, marché à flanc de montagnes, traversé des torrents sur des roches glissantes et négocié des sections de forêts boueuses, nous sommes arrivés devant notre dernier défi : la Paso Virginia. De la base au sommet (800 m de dénivelé positif), le sentier était couvert d’un champ de boue aussi profond que dense. Au début de l’ascension, ma copine était sur le bord de la crise de nerfs… et pour cause : chacun de nos pas était une bataille. Nous devions lutter pour sortir nos pieds de la boue. Puis, en approchant du sommet, toujours dans cette mer de boue, elle était tout sourire. Heureusement que le corps humain est doté d’une capacité d’adaptation extraordinaire.
Ensuite, comme si ce que nous avions traversé n’était pas suffisant, la violente pluie qui tombait s’est transformée en tempête de neige à l’approche du sommet. Après quelques kilomètres parcourus dans ce no man’s land glacial, nous nous sommes retrouvés sur un sentier qui descendait en ligne droite dans une zone d’éboulement, jusqu’à la laguna de los Guanacos. Courir à la verticale dans les gravas, c’était comme skier sans ski : c’était de loin le moment le plus agréable de la journée.
Il se faisait tard et nous avions encore plusieurs kilomètres à parcourir avant d’atteindre la route. La pluie n’avait pas cessé et nous avions encore fraîchement à l’esprit la nuit passée. Pas question de répéter l’expérience. Nous avons donc décidé de rallier Puerto Williams le soir même, coûte que coûte.
Donc, une forêt du genre spartan race et un marais visqueux plus tard, nous avons aperçu la route. Le moindre espace dans mes bottes était occupé par un mélange d’eau, de boue et de végétation. Je n’avais qu’une seule envie : retirer les deux étangs qui me servaient de bottes.
Pour la petite histoire… La suite nous a donné raison de repousser nos limites le soir même pour atteindre Puerto Williams. Il est tombé 30 cm de neige cette nuit-là, au beau milieu de l’été austral. Tous les randonneurs sur le circuit ont été bloqués sur les sentiers puisqu’il était devenu impossible de localiser les inukshuks.
Bref, tenez-le-vous pour dit, Dientes de Navarino n’est pas destinée aux randonneurs du dimanche. Il faut avoir fait beaucoup de millages avec ses bottes, être doté d’un bon sens de l’orientation et aimer les gros défis. Cette randonnée vous permettra de vous tester physiquement et surtout mentalement.
Les paysages de la Isla Navarino ne peuvent rivaliser avec ceux de Torres del Paine et de Fitz Roy situés à proximité. Mais le circuit Dientes de Navarino vaut son pesant d’or. Surtout parce que c’est le bout du monde. Parce que seulement une poignée de randonneurs s’y attaquent chaque année. Et parce qu’elle nous plonge dans la nature à l’état (presque) pur…
N’hésitez pas à me contacter pour plus obtenir plus d’information sur cette rando mémorable.
*En français : « Où allez-vous? »
Derniers articles de Nicolas Paré (Tous les articles)
- Bulgarie : Randonnée sur le toit des Balkans - 11 juin, 2019
- Promenade de l’aube au crépuscule dans le cercle Arctique - 17 avril, 2019
- Cinq volcans et un canyon : découvrir le Mexique - 16 mars, 2018