Ariane Adam-Poupart se passionne pour la course sur sentier. Son récent défi? La course de la Chute du Diable. Revivez avec elle les moments forts de son ultramarathon de 80 km.
Le présentateur de l’événement m’a remis le micro et m’a demandé de donner mes impressions sur le parcours de la Chute du Diable. Et, à ce moment précis, j’ai réussi à balbutier les seuls mots qui me trottaient dans la tête depuis très longtemps : « C’est très difficile, courir 80 km ».
Pour différentes raisons, j’ai tardé à préparer cette course de 80 km. Résultat? Je me suis retrouvée, la veille, dans un état inhabituellement calme, avec une connaissance très minimale du parcours et des dénivelés que j’allais affronter. En contrepartie, j’avais en tête un plan d’alimentation et d’hydratation assez structuré.
Je dois tout de même préciser un détail important. On m’avait dit qu’après avoir couru 120 km à la Petite trotte à Joan, parcourir 80 km allait être facile pour moi. Eh bien! non. Pas du tout. Ces deux événements étaient bien trop différents l’un de l’autre pour être comparés. J’ai couru, au mois de juin, 120 km, accompagnée de Karine et Pierre, dans un événement sans compétition, sans solitude, sans pression, à une vitesse sous-optimale et sur des sentiers que je connaissais par cœur, alors que là, j’allais franchir 80 km seule, à ma vitesse, sur des sentiers inconnus et dans un délai qui devait être inférieur à 14 h.
Louis-Philippe, mon amoureux, avait choisi de courir le parcours du 50 km. Il m’avait averti qu’il serait possible qu’il ne me salue pas en me croisant dans les sentiers tant il serait concentré. Il m’avait même expliqué qu’un sourire de sa part serait un signe de mauvaise course. D’accord, je vous l’accorde, les ententes entre coureurs sont quelques fois bizarres. Mais ça, c’est une autre histoire!
Consignes pré-courses reçues, amis salués, lampe frontale installée sur la tête, je me suis installée entre les coureurs sur la ligne de départ. En attendant le décompte du départ, j’ai pris le temps d’observer les femmes autour de moi. Pour ce genre de distance, la gent féminine se fait toujours très rare. Cette fois-ci, sur une cinquantaine de coureurs, nous étions cinq ou six femmes.
Le départ a été donné comme prévu à 5 h. Les premiers mètres se faisaient sur un chemin de gravier et, comme dans toutes les courses, les coureurs sont partis à une vitesse déchaînée. Pour ma part, j’ai pris mon temps. Il n’y a jamais d’urgence dans une course aussi longue. Les kilomètres courus trop vite dans un ultra deviennent assurément des kilomètres trop lents à la fin de la course.
Rapidement, le chemin s’est transformé en une montée technique qui, éclairée à la frontale, demandait assez d’agilité. Je souhaitais commencer ma course en douceur, mais mon rythme naturel et mon agilité technique me permettaient de devancer plusieurs coureurs, y compris les seules femmes qui m’avaient dépassée. Je me suis donc retrouvée en tête du peloton féminin au kilomètre 3 de la course. C’était une position que je ne connaissais pas et dans laquelle j’étais assez inconfortable. Dans tous mes ultras précédents, j’avais pris l’habitude de commencer doucement et de rattraper les coureuses à la mi-course ou à la fin du parcours, lorsque mes capacités d’endurance étaient mises à profit. Mais cette fois-ci, la situation était inversée et j’étais celle qui risquait d’être dépassée en fin de parcours.
Je suis arrivée à la deuxième station de ravitaillement assez rapidement, suivie à moins d’une minute par Josée, la deuxième femme du peloton. J’ai pris le temps de m’alimenter et j’ai repris le sentier, juste après Josée, qui avait fait un très court arrêt à cette station. C’était une belle occasion pour me défiler de la première place, et j’en étais bien heureuse.
Josée et moi avons inversé nos positions sur près de 35 km. Quelques fois, elle me laissait passer et, à d’autres moments, je lui demandais d’être la première. Nous arrivions aux stations de ravitaillement à quelques secondes d’écart et elle repartait toujours avant moi. Il faut dire que j’avais plusieurs amis bénévoles dans les stations de ravitaillement, alors je prenais le temps de les saluer.
J’aime faire des courses sur sentier pour me retrouver seule dans le bois et pour courir au rythme de ma respiration. Alors, valser constamment entre la première et la deuxième place me demandait une attention supplémentaire pour ne pas altérer ma vitesse naturelle. Je trouvais ce jeu difficile mentalement.
Vers le kilomètre 34, Josée m’a demandé de passer devant elle pour une nouvelle section et j’ai osé lui dire que je trouvais ça dur d’être première. Nous avons échangé quelques mots là-dessus en rigolant et je ne sais pas trop ce qui s’est passé, mais à partir de ce moment-là, mon énergie de course a complètement changé. J’ai accepté de prendre les devants de la course et je me suis recentrée. Je courais depuis près de 4 h et je savais que j’allais commencer à croiser les coureurs sur le parcours du 50 km, en sens inverse, ce qui me motivait énormément.
J’ai d’abord aperçu le premier coureur, qui ressemblait à une bombe sur deux pattes, avec une casquette et des lunettes fumées. Puis, j’en ai croisé plusieurs autres qui me lançaient des « good job! », « bravo! », « yeahhh! » et autres sons pouvant être prononcés en une simple respiration. Ce n’est plus à prouver, les coureurs sur sentier partagent le gène de la bonne humeur et de la gentillesse sur les parcours.
J’ai croisé mon coureur préféré, bien positionné dans sa course, mais tout souriant. Je me suis tassée pour le laisser passer (toujours en respectant notre entente de la veille) et, à ma grande surprise, Louis-Philippe s’est arrêté, m’a embrassée, m’a dit qu’il avait hâte de me voir et est reparti. Je n’y comprenais rien. J’interprétais qu’il avait fait une mauvaise course, mais à le voir filer comme il le faisait, j’en doutais fortement. Je suis repartie en me disant qu’il me raconterait sa course plus tard. Entre-temps, ce petit interlude m’avait intensément motivée!
Toutes ces émotions m’ont fait franchir le kilomètre 36 bien pimpante. J’avais en plus, la chance de retrouver plusieurs amis bénévoles dans une autre station de ravitaillement. Ceux-ci avaient choisi de s’habiller en infirmiers, en médecins et en patients pour l’occasion. J’ai volé plusieurs sourires et accolades et je suis repartie encore une fois très positive et confiante. Ma course se passait bien, ma gestion de course se déroulerait à merveille et je réussissais à boire et à manger tous les glucides prévus. Je défilais lentement, mais avec assurance.
J’ai pris une vraie pause à la station de ravitaillement du kilomètre 46. J’en ai profité pour changer de bas, car ceux que je portais me causaient des blessures insoutenables aux tendons d’Achille. Je suis repartie au plus vite. Mon énergie était stable, mes jambes voulaient toujours courir et je me sentais en contrôle de ma course.
Or, quelque chose d’indéfinissable s’est produit au kilomètre 65. Je pense que le Diable de la Chute est venu charmer mon esprit insidieusement. J’ai commencé par avoir une vision légère, naïve et presque romantique des quinze derniers kilomètres. Je me rappelle m’être dit que la course était quasiment terminée et que les derniers kilomètres seraient faciles à parcourir! C’était ma première erreur!
Le Diable a continué son charme et m’a proposé de ralentir ma gestion de course. Le pire, c’est que j’ai accepté! À quoi bon prendre des gels, des capsules de sel et de l’eau à un rythme constant, alors que la course se terminait dans un peu plus d’une heure! Ça, c’était ma deuxième erreur!
Le Diable a poursuivi son jeu et est venu brouiller mes perceptions quant au temps et à la distance. Les mètres et les minutes sont devenus des kilomètres et des heures. Bien que j’avançais dans les sentiers en courant, le temps semblait soudainement avoir ralenti. Je regardais ma montre toutes les trois minutes en ayant l’impression que je venais de jogger pendant quinze minutes. J’avais perdu tous mes points de repère. Et comme je ne cours jamais avec un indicateur de distance sur ma montre, je ne pouvais pas m’y fier pour m’orienter.
J’ai atteint l’avant-dernière station de ravitaillement en deux fois plus de temps qu’estimé. Vidée de toute énergie, j’ai demandé aux bénévoles s’il me restait huit ou onze kilomètres de course. Ils m’ont répondu, sans l’ombre d’un doute, qu’il ne m’en restait que huit. Je pense aujourd’hui qu’ils étaient de connivence avec le Diable, parce qu’en réalité, il me restait un peu plus de dix kilomètres à franchir.
Je suis repartie de cette station en ayant retrouvé mon assurance et en me répétant qu’une section de huit kilomètres se parcourt en un peu moins d’une heure. J’ai probablement fait éclater de rire le Diable en retrouvant mon attitude positive, car en réalité, j’allais me farcir les sections les plus techniques et difficiles du parcours. Celles qui portaient les noms de Descente aux Enfers et de Montée du Purgatoire.
En insérant quelques pas de course entre mes pas de marche, j’ai réussi à atteindre la dernière station de ravitaillement, qui avait des airs de paradis à mes yeux. Cette station était située à 78,4 km sur le parcours. J’y suis arrivée en clamant haut et fort aux bénévoles qu’il ne me restait que 1,6 km à parcourir. Une bénévole, à mes yeux complice du Diable, m’a alors dit qu’il m’en restait plutôt 4,2. J’ai osé m’obstiner quelques instants pour me rendre à l’évidence que j’avais commis l’erreur de ne pas regarder attentivement la fin du parcours sur les documents préparatoires. Effectivement, le parcours de la Chute du Diable ne faisait pas 80 km, mais bien 82,6 km.
Je suis repartie dans un état de perdition. Ce 4,2 km représentait l’effort d’un marathon dans ma tête. J’ai pensé à l’abandon entre les kilomètres 80 et 81. Le Diable allait gagner et, moi, j’allais rester dans cette forêt à tout jamais.
Tout en grognant dans ma tête, j’ai aperçu, au loin sur le sentier, une coureuse du 50 km qui terminait sa course. Elle semblait dans un état aussi intense que le mien. J’ai réussi à la dépasser et elle m’a gentiment dit qu’elle avait beaucoup de respect pour les fous qui parcouraient le 80 km. Je l’ai remerciée et je lui ai dit que tous les coureurs d’ultras avaient mon respect. En fin de course, nous sommes tous dans le même pétrin.
Notre échange m’a donné l’énergie finale des derniers pas de course. Nous sommes sorties, la coureuse du 50 km et moi, du bois à quelques secondes d’intervalle, nous avons franchi les derniers 400 m presque côte à côte. Je l’ai encouragée à passer devant moi pour franchir la ligne d’arrivée et j’ai entendu une voix crier mon nom au micro : « … Ariane Adam-Poupart, la première femme du 80 km, approche la ligne d’arrivée ». Je venais de compléter mon premier ultra de 80 km. Ma première « première place » dans un ultramarathon. Je venais de gagner ma bataille contre le Diable de la Chute!
La course en images
On s’amuse au ravitaillement
Ariane Adam-Poupart
Derniers articles de Ariane Adam-Poupart (Tous les articles)
- Canicule et sport : que faut-il faire? - 10 juillet, 2022
- Ce qu’il faut savoir sur la maladie de Lyme - 17 juin, 2019
- Coups de cœur d’Islande - 13 décembre, 2018