Être femme et parcourir en solo l’Appalachian Trail, entraînement sur 3 plans: physique, mental et émotif
Par Danielle Vibien,
Si vous tapez le mot « entraînement » dans Google, vous trouverez ceci :
Communication d’un mouvement / Acquisition de compétences par la pratique et/ou la répétition
Je n’ai rien d’une athlète. Il y a 30 ans, à l’âge de 24 ans, j’ai fait le choix conscient de vivre une vie active et structurée. J’ai eu un coup de foudre pour les cours de groupe en salle, qui ont lieu beau temps, mauvais temps, ont un horaire flexible et un menu varié : danse aérobique, step, slide, tonus, kickboxing, spinning. La formule a évolué, mais le principe est resté le même : une meute de 40 avec un chef, une chorégraphie, une musique assourdissante rythmée…de quoi être propulsé, suer abondamment, se rincer le système et… se libérer l’esprit. En amour avec le concept, je vous dis, encore aujourd’hui.
C’est une recette que j’aime, donc je la consomme au quotidien, 5 ou 6 fois par semaine. Ces activités me permettent de me débarrasser régulièrement de mes tensions physiques, de mes frustrations, de mes impasses, de me libérer. Après chaque séance, je vois autrement. Les humains ont la possibilité de se transmettre de l’énergie sans se parler. Sans le savoir, les participants devant, derrière et de chaque côté de moi en salle m’entraînent dans le mouvement. Et que dire du chef ? C’est lui ou elle qui donne le ton. J’ai toujours su repérer mes mentors. Ils m’ont amenée plus loin. Steven, Julie, Lynda, Claude, Alex, vous faites encore une différence dans ma vie !
Mes proches m’étiquettent : « Danielle, tu es accro, tu es extrême, tu es une machine ! » Euh, non les amis. Vous n’avez pas compris. Le cœur est un muscle. Il n’y a rien d’anormal à fournir un effort modéré à intense pendant 60 à 75 minutes, être essoufflé et transpirer. Pour ma part, c’est quand mon cœur pompe que je me sens Vivre. Je ne suis en compétition avec personne. Je réserve des plages de temps pour moi tous les jours. Je me fais du bien. « Ben pour toi c’est facile parce que tu aimes ça. » Euh, je recadre. Je n’en ai pas toujours envie. Je n’ai pas toujours le goût d’interrompre ce que je fais, de me rendre au gym en métro, de me changer, d’avoir froid les 10 premières minutes, de fournir un effort… Ce que je peux vous dire par contre, c’est qu’une fois la séance terminée, je n’ai… JAMAIS REGRETTÉ Y AVOIR ÉTÉ!
Pourquoi ? Parce que les bénéfices ont toujours dépassé les coûts. Alors, je renouvelle mon abonnement chaque année. Je ne voudrais pas vivre autrement. Fournir un effort me ressourcera toujours. Je le sais.
Quand je me suis entendue avec La Cordée pour écrire mes blogues avant mon départ pour l’AT, je me suis demandée où je trouverais et où je prendrais le temps pour organiser mes idées, structurer ma pensée et rédiger, en plus d’assumer ma fonction d’acheteuse. Je me suis aperçue que mes cours de groupe me permettraient ce processus d’incubation. Aussi ai-je décidé d’emporter avec moi un calepin et de noter pendant mes cours de spinning, entre autres, toute pensée qui surviendrait. J’ai accouché d’une bonne partie du contenu de mes blogues… à l’effort. Voici mon calepin à portée de la main sur le guidon.
Alors je suis une personne active, d’accord. Et les fins de semaine ? Au moins une activité de plein air par semaine pour me ressourcer. Me retrouver en nature est un besoin. Rando ou vélo de route l’été; raquette en montagne, marche en crampons, ski de fond, ski hors-piste, ski alpin, l’hiver. Jouer dehors, c’est retrouver son cœur d’enfant (et en passant, c’est plus facile quand on a bougé régulièrement au cours de la semaine).
Les clubs de plein air offrent la structure suivante : un calendrier avec des propositions de rando menées par des chefs bénévoles. Le covoiturage est de mise. Je suis membre de plusieurs clubs. En voici deux :
Le Club Alpin, section Montréal (ACC) http://dev.accmontreal.ca/
Le Club de Montagne Le Canadien (CMC) http://www.clubmontagnecanadien.qc.ca/
J’ai vite compris que de m’impliquer comme chef de sortie et non uniquement comme participante me sortirait de ma zone de confort, me demanderait un effort, oui, mais surtout, me permettrait de mettre mes capacités à profit : mon sens de l’organisation, ma capacité de rassembler et mon leadership. Je me rapprocherais ainsi de ma Mission : être un pôle d’attraction, inspirer d’autres à bouger. Depuis mai 2015, j’aurai permis à 235 participants de se dépenser. J’ai choisi de reconnaître le chemin que j’ai parcouru. Il m’a mené jusqu’à l’AT.
Alors, 3500 km… je me prépare comment ?
La meilleure préparation à mon avis reste la pratique régulière de l’activité qui ressemble le plus à celle qui va occuper mes journées. Le meilleur entraînement pour effectuer 9 000 000 de pas sera donc… de randonner!
Dans cette optique, j’ai parsemé les calendriers de mes clubs d’options de randonnées pour sortir une fois par semaine.
J’ai proposé, entre autres, deux randonnées hivernales au calendrier des activités pour employés La Cordée. Parce que c’est bien de faire bouger les communautés d’adeptes de plein air, mais c’est encore plus satisfaisant d’emmener des collègues de travail en montagne. Nous voici sur le sentier du Centenaire, le 3 février dernier.
J’ai choisi, dès le mois de décembre 2017, donc quatre mois avant ma date de départ du 27 mars 2018, d’apprivoiser mon sac à dos. Deux fois par semaine, je l’emporte en entraînement. Me voici quittant le magasin, à l’heure du dîner.
Il est chargé avec des sacs de pois. 45 lb en tout. Je dois m’habituer. Une fois en salle : tapis roulant incliné et escalier rotatif, pour un total de 45 minutes. C’est tout le temps dont je dispose, car j’ai choisi de ne rien changer à ma routine habituelle. (Ce sac à dos m’a été prêté pour mon entraînement).
Je vous passe tous les exercices de musculation au sol, mais je vous partage ceci : une petite roulette de plastique fait des miracles pour les muscles du dos, mais surtout pour les abdominaux et les intercostaux !
Et le mental, ça se prépare et ça se travaille comment ?
J’ai choisi de me lancer des petits défis aussi souvent que possible avant mon départ. Les escaliers de la station de métro Papineau s’y prêtent bien. Ils sont gris, ils sont sales, ils sont interminables : deux séries de trois paliers de 16 marches. J’ai toujours le choix de faire comme tout le monde et de prendre l’escalier roulant qui monte en parallèle juste à côté. En fait, je commence à me négocier en sortant du wagon de métro :
« Non, aujourd’hui ça ne me tente pas du tout. »
« Ah bon ? »
« Non, j’arrive de m’entraîner, j’en ai assez fait. Et puis je suis fatiguée ! »
« Trop fatiguée pour monter deux escaliers ? »
« Oui, presque crevée. »
« Ben, viens donc me conter ça, Danielle, pendant qu’on monte les marches ensemble, une par une… »
Voilà pour l’autocoaching !
Après dix marches avec mon gros sac à dos sur le dos, je suis essoufflée, c’est inconfortable, mais je ne redescendrai pas pour aller prendre l’escalier roulant. Je continue, un pas à la fois. Et, je change mon dialogue intérieur qui affecte mes pensées. Je lâche prise et, avant d’avoir terminé l’ascension, j’ai trouvé une forme de paix intérieure et… de confort, dans le moment présent. C’est ça pour moi le minding.
Je vais utiliser cette technique à outrance sur l’AT.
Je suis ma meilleure coach parce que je me connais le mieux.
Si je veux surmonter un obstacle, je dois pouvoir me visualiser de l’autre côté de celui-ci. Une fois l’image créée, il s’agit de passer du rêve à la réalité en posant les gestes concrets qui vont me rapprocher de ma cible.
Vivre à la merci de Mère Nature pendant 6 mois, passer de -10 oC à 30 oC, en quelques semaines, me protéger du froid, de l’humidité, composer avec une chaleur accablante, traverser des orages, survivre aux 9 000 000 de mouches noires qui me choisiront comme buffet, patauger dans la boue, les pieds ratatinés, poser des pansements qui décollent sur mes ampoules, composer avec mes articulations qui feront mal… J’ai une bonne idée de ce qui m’attend. Toutes ces formes d’inconfort et de douleur feront partie de l’expérience et se doivent d’être accueillies à bras ouverts, avec le sourire!
Ne pas résister, mais plutôt embrasser. C’est ça pour moi le MENTAL de l’expédition.
Et je déplierai ma liste des « pourquoi ? » quand j’en arracherai et que je prendrai le sentier en grippe. J’ai réfléchi longuement l’année dernière, en janvier 2017, avant de déclarer mon projet à voix haute. Et je réfléchis encore…
Pourquoi est-ce que je tiens à parcourir l’AT ?
Voici quelques-unes de mes réponses. Je vais les relire à chaque fois que ma motivation prendra la forme d’une spirale descendante :
- Je veux me mettre à l’épreuve et connaître mes limites
- Je veux vivre ce parcours de montagnes russes
- Je veux composer avec les imprévus de mieux en mieux
- Je veux confronter mes peurs et avancer malgré elles
- Je veux célébrer mon autonomie
- Je veux cocher ce projet d’envergure
- Je veux tester ma détermination et ma persévérance
- Je veux trouver ma zone de confort dans l’inconfort
- Je veux faire des prises de conscience profondes
- Je veux entrer en intimité avec moi-même
- Je veux développer ma flexibilité de caractère
- Je veux mieux entendre
- Je veux percevoir autrement
- Je veux côtoyer des Thru-Hikers qui ont fait le même choix que moi
- Je veux que le sentier me transforme
- Je veux devenir ma meilleure amie
- Je veux devenir une source d’inspiration
Pour me préparer mentalement, je me suis imprégnée de quelques livres achetés sur Internet.
L’auteure, Liz Thomas consacre deux chapitres au « mind game ». Le succès des randonneurs qui restent accrochés au parcours plutôt que d’abandonner serait dû à leur meilleure préparation mentale plutôt que physique, selon elle.
Le livre Appalachian Trials de Zach Davis m’a prévenue : la lune de miel va s’estomper après 1 mois. « The Virginia Blues are inevitable! And they will last at least 3 weeks… » (La déprime de la Virginie est inévitable et durera au moins trois semaines…)
Je devrai gérer mes déceptions, mes crises, mes déconfitures, mon côté sauvage, intolérant, égoïste, mon désir de tisser des liens, ma réalisation de l’impermanence des choses, mes moments d’ennui…
Je serai mise à l’épreuve, encore, encore et encore. Je vais sourire avec humilité.
Et que faire de l’émotif ?
Voici ma réponse : une émotion, ça ne se contrôle pas, ça ne s’étouffe pas. Ça se vit intensément. J’ai déjà pleuré toutes les larmes de mon corps en traversant les Chic-Chocs en solo dans le temps de la chasse. Je n’ai vu personne pendant quatre jours. Une émotion arrive comme un raz-de-marée, puis s’estompe pour faire place au moment présent. Je me souhaite de ne pas résister à mes états d’âme. Je me connaîtrai mieux à chaque ressac.
70 % d’abandons à chaque année…
Soyez assurés que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faire partie de la communauté des 30 % qui restent accrochés. Je me suis programmée. L’AT fait maintenant partie de mon ADN.
C’est mon projet de Vie. Je vais me tenir pour mon projet. Je suis engagée à cheminer.
Le sentier et tout ce qu’il aura à m’apprendre sur moi viendront à ma rencontre. Tout ce que j’aurai à faire, c’est de charger mon sac à dos sur mon dos chaque matin et de me présenter (dans la bonne direction, s’il vous plaît) en remerciant la vie.
Mettre un pas devant l’autre, finalement, ça demande un petit effort… et ça demande aussi de la persévérance, en masse…
Le projet de Danielle serait impossible sans le soutien des compagnies suivantes :
Sans oublier ses autres commanditaires : Icebreaker, Therm-A-Rest, Katadyn, GSI, Asolo, Keen, Darn Tough, Counter Assault, National Geographic, Fruit2, GU, PROBAR, Clif Bar, Uka Protéine, Enerchia, PowerBar et Savonnerie des Diligences.
Danielle Vibien
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