Par Danielle Vibien
J’ai rendez-vous par une belle journée ensoleillée. Je me rends à Saint-Hyacinthe sur le boulevard Casavant. Je me gare devant un gros bâtiment à l’allure moderne. En entrant, je me présente à la réception. Je signe le registre. On me tend une épinglette « visiteur ». Christine Chénard, avec qui j’ai rendez-vous, vient à ma rencontre. On se dirige vers ses locaux. Avant d’y entrer, elle me tend un sarrau et un bonnet bouffant en tissu. Elle s’habille de même. Comment va le patient, lui demandais-je? (C’est que j’ai vraiment l’impression que je vais entrer en salle d’op!) Christine sourit. « Ici, il y a un protocole à suivre. N’entre pas qui veut ». C’est contrôlé.
Nous sommes au Centre de recherche et de développement d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. C’est là que, depuis 2012, Christine Chénard et Guy Dubuc, deux passionnés de plein air et copropriétaires de l’entreprise Happy Yak, produisent leurs mets lyophilisés. Trois employés et jusqu’à six durant la période estivale, au cours de laquelle s’intensifie leur production, constituent leur équipe.
Leur mission : Faciliter la vie des adeptes de plein air. Du simple séjour en camping à l’expédition d’envergure, ils n’ont plus à se casser la tête pour bien manger. Réaliser ses rêves, c’est aller plus loin sur son propre chemin de vie. Bien se nourrir pendant son aventure augmente les chances de réussite, car on le sait, nourriture est synonyme de réconfort. Savourer un bon repas quand on est loin de chez soi, ça vaut de l’or!
Le logo est amusant : un yak souriant nous faisant un clin d’œil. Les expéditions en montagne offrent souvent le transport de matériel à dos de yak. La bête, un animal paisible d’une grande force, bravant le froid, luttant contre le vent, avançant lentement, au service de l’homme et de son aventure.
Pardonnez mon anglais ici, mais, en toute simplicité : « Happy Yak has your back! »
C’est avec fierté que l’entreprise porteuse de rêves supporte les causes qui lui tiennent à cœur en redonnant 1 % de son chiffre annuel aux scouts du Canada, à l’organisme Sans Trace et à la fondation David Suzuki.
Pour comprendre comment Christine Chénard et Guy Dubuc réussissent en affaires, il faut remonter dans le temps et retracer quelque peu le sentier emprunté.
Détentrice d’un bac et d’une maîtrise en nutrition de l’Université de Montréal, Christine a toujours su que la nourriture ingérée avait un impact direct sur le fonctionnement psychique et émotif de l’humain. Travaillant en milieu hospitalier, elle aurait aimé éveiller les consciences des médecins qui ne partageaient pas sa vision. Il aurait fallu, selon elle, offrir aux convalescents autre chose que de la soupe et des biscuits soda! Aussi caressait-elle le rêve d’ouvrir un centre pour personnes âgées où elle pourrait décider des meilleurs menus à offrir aux patients afin de leur permettre de retrouver leur autonomie le plus vite possible.
« Ma vie s’est toujours dessinée par un concours de circonstances », affirme Christine. Elle ne pourra suivre un cours en gérontologie qui l’intéressait, mais remplacera au pied levé un professeur de l’université pour enseigner deux cours : « Évaluation sensorielle » et « Standardisation de recettes ». Par la suite, elle poursuit un mandat pour développer 800 recettes qui respectaient plusieurs critères nutritionnels pour l’armée canadienne.
En 1996, elle travaille à Saint-Hyacinthe dans un centre de recherche, lorsqu’elle est approchée par Bernard Voyer pour développer son menu pour ses expéditions à Baffin, puis en Antarctique et enfin sur l’Everest. À partir de ce moment, son nom commence à circuler et on l’approche pour préparer soit des mets ou toute la logistique alimentaire de plusieurs expéditions ou de voyages d’aventure. Plusieurs, au cours des années, lui suggèrent de lancer sa compagnie de mets de plein air. Elle hésite.
En 2012, elle laisse son emploi régulier ; on lui propose de donner le cours « Gastronomie en plein air » à l’université de Chicoutimi. Elle accepte avec joie!
À ce moment-là, son ami Guy Dubuc qui avait acquis une solide expérience dans le domaine du commerce de détail lui propose de se lancer en affaire avec lui. Ils créent alors Happy Yak. À la fin de l’année, il décide de partir avec elle pour faire l’ascension de l’Aconcagua. C’est au cours de cette expédition qu’ils confirment l’importance d’être bien nourris. La réussite passe par l’estomac!
C’est par le procédé de conservation connu sous le nom de lyophilisation que leurs recettes voient le jour. Ce séchage à froid rapide (-40 °C) permet d’extraire jusqu’à 95 % d’eau par sublimation, le passage des molécules d’eau de l’état liquide à l’état gazeux sans passer par l’état solide. C’est ainsi que l’aspect des aliments, leur texture et surtout leurs valeurs nutritives sont préservés. Alors que dans le monde des affaires d’aujourd’hui, les finances et le marketing mènent la recherche et le développement, Christine Chénard est bien décidée à ne faire aucun compromis sur la qualité.
Selon sa pensée, il s’agit non pas de maximiser les profits, mais de les optimiser en maintenant le consommateur au cœur de ses préoccupations.
J’ouvre ici une parenthèse sur le parcours de vie de Christine Chénard.
Entrepreneure dans l’âme, femme de défi ; nous sommes en octobre 2001. L’Ama Dablam du Népal l’appelle. La haute altitude aura raison de son appétit. Elle passera près d’une semaine sans manger, mais plus inquiétant, sans ressentir la faim. C’est sa tête qui mènera et lui permettra d’atteindre le sommet. Au retour, elle survivra à une chute de 20 mètres en se disant que son heure n’avait pas sonné. Elle aura perdu 30 livres au cours de cette expédition. « J’ai compris que quand la tête décide, le corps va suivre », dit-elle.
Plus marquante encore que le Népal, son aventure au Ladakh en Inde, une des régions les plus pauvres au monde, aura laissé des traces. Un trek sur un fleuve gelé, des températures de -30 °C, des porteurs qui dorment dehors sur des dalles de béton, enroulés dans des couvertures, se réchauffant comme ils le peuvent avec de la bouse de yaks. Et là, devant elle se trouve un enfant de 6 ou 7 ans en gougounes portant un bébé sur son dos. Elle sera incapable d’avaler son gruau. « Cette image bouleversante m’a marquée à jamais ». Le malaise fut d’autant plus grand quand, une fois le trek terminé, l’hélicoptère l’a ramenée en ville pour passer deux jours dans un hôtel aux planchers de marbre rose. Et c’est en transit, à l’aéroport de Genève, que Christine a aperçu en vitrine un bijou valant 28 000 €, une somme qui pourrait nourrir un village entier…
Les voyages nous ouvrent le monde. Nous en revenons transformés, en état de grâce, plus confirmés je le comprends dans notre propre mission de vie.
La femme d’affaires, Christine Chénard, a soif d’expansion. La femme tout court, soif d’aventure. Happy Yak, hors frontières et outremer, pour que chaque être humain puisse, le ventre plein, célébrer la vie.
J’ai quitté Saint-Hyacinthe cet après-midi-là, émue du partage.
Danielle Vibien
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